ENJEUX POUR L’OUTRE-MER
Des richesses naturelles exceptionnelles
Les collectivités françaises d’outre-mer abritent des richesses naturelles exceptionnelles. Elles hébergent par exemple plus d’espèces de plantes vasculaires et de vertébrés endémiques que n’en compte toute l’Europe continentale et les taux d’endémisme constatés pour certains groupes d’espèces y sont parmi les plus élevés au monde.
Présentes dans 5 des 35 points chauds de la biodiversité mondiale, elles sont également parmi les régions du monde les plus concernées par la crise de la biodiversité. Selon les estimations de la Liste rouge mondiale de l’UICN, la France figure avec ses collectivités d’outre-mer parmi les dix pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces animales et végétales mondialement menacées.
La France et ses collectivités d’outre-mer portent donc une responsabilité de premier plan pour la préservation de la diversité biologique de la Planète.
Les points chauds de la biodiversité mondiale, les zones forestières majeures, et la situation particulière des collectivités françaises d’outre-mer © UICN France, d’après Conservation International.
Plus d’informations :
Programme Espèces et Programme Outre-mer du Comité français de l’UICN
L’outre-mer particulièrement exposé aux invasions biologiques
Les espèces exotiques envahissantes figurent parmi les principales causes de l’érosion de la biodiversité ultramarine.
De par leur caractère principalement insulaire, les collectivités françaises d’outre-mer sont très vulnérables aux introductions d’espèces. Un long isolement évolutif, une faible superficie, de forts taux d’endémisme et un déséquilibre taxonomique et fonctionnel (absence de certains groupes biologiques) constituent les principaux facteurs responsables de cette vulnérabilité aux introductions d’espèces. Dans ces îles, l’isolement géographique a souvent entraîné le développement d’écosystèmes uniques dont la flore et la faune ont évolué en l’absence de grands prédateurs ou d’herbivores terrestres. Ces espèces animales et végétales indigènes n’ont pas développé de moyens de lutte pour résister aux herbivores comme les cervidés, les chèvres ou les moutons, à des prédateurs comme les rats, les chats ou les chiens, et à des plantes plus compétitives venant des continents.
Nombre d’espèces menacées dans les différentes collectivités françaises d’outre-mer (en bleu) et nombre d’espèces menacées pour lesquelles les espèces exotiques envahissantes sont identifiées comme une menace (en rouge). D’après la Liste rouge mondiale de I’UICN .
Poisson-lion en Martinique © C. Barnerias.
Toutes les collectivités d’outre-mer sont menacées par des espèces exotiques envahissantes. Tous les milieux sont concernés y compris le milieu marin comme en témoigne l’invasion de la mer des Caraïbes par le Poisson-lion (Pterois volitans) ou l’arrivée du Crabe vert (Carcinus maenas) à Saint-Pierre et Miquelon.
Un grand nombre de plantes et d’animaux exotiques envahissants ont d’ores et déjà entraîné la régression ou l’extinction d’espèces indigènes ou endémiques par compétition ou prédation. L’un des risques majeurs liés aux invasions biologiques est de voir progressivement se développer une uniformisation des paysages naturels d’outre-mer, avec la régression ou la disparition des espèces indigènes au profit d’une flore et d’une faune exotiques et banalisées. Les impacts négatifs des espèces exotiques envahissantes sont d’autant plus forts que le milieu naturel subit déjà d’autres pressions comme la destruction des habitats, la pollution ou le réchauffement climatique.
Impacts écologiques des espèces exotiques envahissantes
Des extinctions d’espèces
Selon les dernières estimations de la Liste rouge mondiale de l’UICN, les espèces exotiques envahissantes sont impliquées dans 53 % des extinctions d’espèces recensées dans les collectivités françaises d’outre-mer. C’est souvent un ensemble de facteurs (destruction des habitats, surexploitation, compétition ou prédation par une espèce exotique envahissante) qui ont conduit ces espèces à l’extinction. C’est néanmoins dans l’outre-mer français qu’a pris place l’un des exemples modernes les plus frappants d’extinctions consécutives à l’introduction d’une espèce. L’Escargot carnivore de Floride ou Euglandine (Euglandina rosea), introduit en Polynésie française à des fins de contrôle biologique contre l’Achatine (Lissachatina fulica), est directement responsable de l’extinction de près de 57 espèces d’escargots endémiques de la famille des partulidés.
L’euglandine (à gauche sur la photo) © O. Gargominy.
Modification du fonctionnement des écosystèmes
L’impact majeur des espèces exotiques envahissantes relève le plus souvent de l’altération des processus écologiques en place. Des plantes exotiques envahissantes peuvent être à l’origine d’un changement significatif de la composition, de la structure et du fonctionnement des écosystèmes en modifiant la luminosité, le taux d’oxygène dans l’eau, la chimie des sols, le cycle des éléments nutritifs, le régime des feux, les interactions plantes animaux etc. Une seule espèce peut altérer le fonctionnement d’un écosystème.
En milieu d’eau douce, des plantes aquatiques comme la Jacinthe d’eau et la Laitue d’eau, envahissantes à La Réunion, peuvent entraîner une eutrophisation du milieu et un bouleversement global des écosystèmes aquatiques. Sur Tahiti, le Miconia forme des couverts denses monospécifiques où la lumière arrivant au sol est très réduite empêchant toute régénération de plantes indigènes et endémiques en sous bois. Près de 80 000 ha ont été envahis à Tahiti et entre 40 à 70 espèces de plantes endémiques sont directement menacées de disparition.
Les rats sont impliqués dans la régression de plusieurs espèces d’oiseaux endémiques comme par exemple les monarques de Tahiti et des Marquises (Pomarea sp), l’Echenilleur de La Réunion (Coracina newtoni), ou plusieurs espèces de pétrels dans les TAAF. Ils contribuent également à modifier la composition spécifique et la dynamique des communautés végétales en consommant des graines de plantes endémiques rares, comme le Santal en Polynésie française ou l’Ochrosia inventorum en Nouvelle-Calédonie et en favorisant la dispersion de certaines plantes exotiques envahissantes.
Les fourmis envahissantes représentent une des plus grandes menaces pour de nombreuses espèces d’invertébrés ou de petits vertébrés indigènes ou endémiques. Elles peuvent affecter l’ensemble du fonctionnement d’un écosystème. La Fourmi électrique ou Petite fourmi de feu (Wasmannia auropunctata), envahissante en Nouvelle Calédonie, en Polynésie française et à Wallis et Futuna, altère la structure et le fonctionnement des écosystèmes en éliminant la majorité des invertébrés dans les zones infestées, tout en favorisant certains autres, et en diminuant nettement la diversité et la densité de petits vertébrés comme les lézards.
Des régressions d’espèces
Les espèces exotiques envahissantes conduisent à un appauvrissement des communautés végétales et animales indigènes essentiellement par compétition ou prédation.
Des plantes exotiques envahissantes comme le Lantana ou différentes espèces d’acacia forment des couverts denses qui étouffent la végétation naturelle. Les populations sauvages ou en semi-liberté de cochons, de bétail, de chèvres, de moutons et de cervidés observées aux Saintes en Guadeloupe, dans des îles de Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, dans les TAAF ou à Saint-Pierre et Miquelon, causent à des degrés divers des destructions du couvert végétal et des régressions d’espèces indigènes sous l’action de leur pâturage et de leur piétinement.
Concernant les prédateurs introduits, il n’y a guère de doute à avoir sur les dégâts que peuvent causer les populations sauvages ou en semi-liberté de chats, de chiens ou de mangoustes sur les oiseaux ou les reptiles indigènes. Parmi les oiseaux, le Martin triste ou le Bulbul à ventre rouge affectent les espèces indigènes par compétition pour la nourriture ou les sites de reproduction. Le Busard de Gould et le Grand-duc de Virginie en Polynésie française agissent directement par prédation sur les oeufs, les oisillons ou les adulte des espèces indigènes.
Au niveau mondial, les chats harets sont une des principales menaces pour la faune terrestre indigène des milieux insulaires © J. Buffin (Programme IPEV 136).
Les espèces potentiellement envahissantes : des bombes à retardement
A côté des espèces exotiques d’ores et déjà envahissantes et problématiques, de nombreuses espèces exotiques sont potentiellement envahissantes. Naturalisées, en cours de naturalisation, ou simplement cultivées ou élevées, elles ne manifestent pas aujourd’hui de caractère envahissant mais pourraient le devenir si les conditions écologiques du milieux venaient à être modifiées en leur faveur. Il s’agit par exemple de plantes vendues en pépinières ou utilisées pour l’aménagement ou d’animaux vendus dans les animaleries qui sont connus ailleurs dans le monde pour être envahissants.
Les conséquences du changement climatique auront un effet profond sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes et affecteront les conditions de vie des espèces, indigènes comme introduites. Elles pourraient accélérer la dispersion et l’établissement de nouvelles espèces exotiques envahissantes, et ainsi augmenter l’ampleur de leurs impacts. Mais elles pourraient également conduire à réduire l’impact de certaines espèces dont l’aire d’introduction diminuerait sous l’effet du changement climatique. S’il est fort probable que le changement climatique et les invasions biologiques interagiront de manière significative, les résultantes de ces interactions, qui sont sous contrainte d’autres pressions (exploitation des ressources naturelles, pollution, etc.) restent encore aujourd’hui complexes à prédire.
Dans l’archipel de Kerguelen, les changements climatiques observés ont pour conséquence d’entraîner la régression de plantes indigènes, favorisant le développement sur de grandes surfaces d’herbacées introduites et originaires des régions tempérées (pissenlit, graminées, etc.) © J.L Chapuis.
Des limites importantes à la gestion
Malgré des avancées importantes en termes de connaissances, de lutte, de réglementation et de sensibilisation, de nombreuses contraintes communes aux collectivités d’outre-mer limitent les actions.
Le cadre réglementaire national, qui s’applique aux 5 DOM, à Saint-Martin et à Saint-Pierre et Miquelon, est encore trop fragmenté pour une gestion appropriée des espèces exotiques envahissantes. Les moyens financiers en regards des enjeux ne sont ni suffisants ni pérennes. L’absence de stratégie dans certaines collectivités et de hiérarchisation des priorités de facilite pas les synergies entre les acteurs. Et la sensibilisation des publics reste encore globalement insuffisante.
La mise en œuvre d’une stratégie globale et partagée par l’ensemble des partenaires (Etat, collectivités, chercheurs, gestionnaires de l’environnement, acteurs privés, associations, etc.) nécessite une approche transversale (par l’ensemble des secteurs d’activités concernés) et à plusieurs niveaux :
> la prévention qui est le moyen d’action le plus efficace à moindre coût ;
> la veille et la détection précoce des nouvelles espèces avec l’analyse du risque d’invasion ;
> l’intervention rapide dès la signalisation d’une nouvelle espèce exotique envahissante ;
> l’adaptation ou le développement de la réglementation concernant le commerce, le transports, les mesures de biosécurités ;
> l’information et la sensibilisation des différents publics ;
> la lutte sur le long terme pour contenir les espèces exotiques envahissantes prioritaires déjà installées.
Lutte contre la Vigne marronne (Rubus alceifolius) à La Réunion © ONF La Réunion.
Un enjeu de coopération
Participants à l’atelier de travail organisé par l’UICN France en Nouvelle-Calédonie en décembre 2010 © UICN France.
Dans toutes les collectivités d’outre-mer, des acteurs se mobilisent pour mettre en place des outils de prévention, de diagnostic et des actions de lutte contre les espèces exotiques envahissantes.
Malgré leur éloignement, les acteurs des collectivités d’outre-mer sont confrontés bien souvent aux mêmes espèces invasives et rencontrent des difficultés communes en termes d’accès à la connaissance, de lutte, de coordination d’actions et de coopération, de réglementation et de sensibilisation du grand public.
La mise en réseau des connaissances, le renforcement de la coopération régionale et entre les collectivités françaises d’outre-mer constituent des réponses essentielles.