A la rencontre de Jean-François Butaud, Botaniste indépendant en Polynésie française

Jean-François Butaud, expert botaniste et membre du Réseau EEE outre-mer depuis de nombreuses années a accepté de répondre à nos questions et présente les actions de préservation de la flore polynésienne et de gestion des EEE sur lesquelles il est mobilisé.

1) Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis un consultant indépendant en foresterie et botanique polynésienne depuis une vingtaine d’années, basé en Polynésie française, mais intervenant parfois ailleurs dans le Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Tonga, Rapa nui). J’interviens notamment pour des administrations du Pays, des bureaux d’études ou des associations environnementales.

2) Quel est votre parcours et comment avez-vous été amené à travailler sur la thématique des invasions biologiques ?

Ma première expérience avec la Polynésie française a consisté en un poste de Volontaire à l’aide technique (VAT) en 1998 suite à l’obtention de mon diplôme d’ingénieur forestier (spécialité tropicale en 3ème année) de l’Ecole Nationale du Génie Rural, des Eaux et des Forêts (ENGREF) à Nancy et Montpellier. Durant ce « vatariat », partenariat entre le CIRAD-forêt et le Service du Développement Rural (SDR) local, il s’agissait d’inventorier les populations de bois de santal de l’archipel des Marquises et de mettre au point les techniques de collecte et de germination des semences de cet arbre endémique menacé et potentielle ressource naturelle renouvelable si des plantations pouvaient en être établies. Après un passage à l’Office National des Forêts en Normandie, j’ai œuvré entre 2001 et 2005 en tant que forestier au SDR (aujourd’hui Direction de l’Agriculture – DAG) à Tahiti, menant en parallèle une thèse de doctorat en chimie sur le santal à l’Université de la Polynésie française soutenue en 2006. Ma carrière de consultant indépendant a débuté en 2005 avec assez rapidement des expertises portant sur la connaissance et la gestion d’aires protégées pour la Direction de l’Environnement, ainsi que la rédaction et la mise en place de plans de conservation pour des plantes en voie de disparition. Aborder la problématique des espèces envahissantes a été une obligation car elles affectent tous les milieux naturels, toutes les aires protégées, toutes les plantes et les animaux si originaux qui font la spécificité des îles polynésiennes. En effet, pour rester sur l’exemple du bois de santal qui illustre très bien les pressions exercées par les EEE, le rat noir consomme la totalité de ses fruits, une cétoine (Protaetia fusca) sectionne ses inflorescences, une punaise entraine l’avortement de ses fruits (Leptoglossus gonagra), les chèvres abroutissent ses feuilles et son écorce, les bœufs cassent ses branches pour, eux aussi, se nourrir de ses feuilles et rameaux, plusieurs plantes envahissantes étouffent les pieds-mère et d’autres couvrent densément le sol, interdisant par là toute germination ou développement ultérieur de la plantule.

 

Protaetia fusca sur Santalum insulare © J-F Butaud

Leptoglossus gonagra sur Santalum insulare © J-F Butaud

Rattus rattus sur Santalum insulare © J-F Butaud

3) En tant que botaniste, quels sont actuellement vos champs d’action sur le sujet ?

Mes champs d’action relatifs aux invasions biologiques concernent essentiellement la flore terrestre même si parfois quelques animaux introduits peuvent être concernés. Concernant les actions de connaissance, je mène très régulièrement des diagnostics environnementaux (afin notamment de dresser les enjeux de conservation et les problématiques de gestion) qui peuvent contribuer à la mise à jour de la liste des plantes introduites de Polynésie française, permettre de visualiser leur répartition au sein des différentes îles et d’estimer leur potentiel de naturalisation dans les différents milieux. Malheureusement, de nouvelles plantes font encore trop souvent leur apparition, le plus souvent il s’agit de simples « mauvaises herbes » mais parfois se sont de réelles menaces pour la biodiversité comme récemment à Ua Pou aux Marquises. Ces connaissances jointes à celles des autres botanistes polynésiens, et en coordination avec la Direction de l’Environnement, permettront de faire évoluer la liste des espèces menaçant la biodiversité du Code de l’Environnement, mais également de définir les priorités d’action en fonction de la situation de telle espèce (une quarantaine) dans telle île (près de 120).

Depuis une quinzaine d’année, je participe à des actions de gestion des plantes envahissantes notamment dans le cadre d’opérations de restauration de l’habitat d’oiseaux menacés en lien avec la SOP Manu ou d’opérations de gestion de sites classés ou inscrits conduites par la DIREN avec par exemple :

  • leur éradication progressive (Casuarina equisetifolia, Falcataria falcata, Passiflora maliformis…) de plusieurs îles de l’archipel des Gambier qui ont également fait l’objet de l’éradication des mammifères introduits (réalisée par SOP Manu, Birdlife International, Island Conservation, lors de la mise en œuvre du projet RESCCUE),

  • leur contrôle (Ardisia elliptica, Miconia calvescens, Passiflora maliformis, Spathodea campanulata, Triplaris weigeltiana…) dans les vallées gérées pour la conservation du Monarque de Tahiti (Pomarea nigra) (SOP Manu),

  • le contrôle de Miconia calvescens à Nuku Hiva aux îles Marquises dans le contexte de l’inscription de l’archipel au patrimoine mondial de l’UNESCO (DIREN),

  • leur contrôle (Pinus caribaea, Psidium cattleyanum, Rubus rosifolius…) dans les milieux patrimoniaux de l’île de Rapa aux Australes.

4) Concernant les chantiers de gestion auxquels vous participez depuis maintenant près de 15 ans, s’agit-il de chantiers participatifs ? Si oui, au regard des défis que représente le contrôle des EEE, comment parvenez-vous à mobiliser des bénévoles sur le long terme lors de ces opérations ?

Abbattage de Miconia © J-F Butaud

Depuis 2013, dans le cadre des opérations de restauration de l’habitat du Monarque de Tahiti pilotées par la SOP Manu, j’organise des campagnes de contrôle des plantes envahissantes dans les 3 vallées tahitiennes qui abritent encore cet oiseau. Ces campagnes font appel, par le moyen des réseaux sociaux, à des bénévoles qui arrachent ou coupent des plantes envahissantes, mais également plantent des arbres indigènes ou endémiques à leur place. Depuis 2013, ce sont ainsi plus de 100 campagnes qui ont été organisées et plus de 1600 journées de bénévolat qui ont été consacrées à ces travaux. La tenue dans le temps de ces campagnes et la motivation des bénévoles sont probablement liées à plusieurs éléments : déplacement dans de belles vallées possédant des cours d’eau avec de nombreuses cascades et vasques ; réalisation de randonnées naturalistes qui permettent de découvrir la flore, la faune, la dynamique d’un milieu naturel soumis aux EEE et l’intensité des actions nécessaires à les juguler ; aspect sportif avec souvent 2 heures de marche aller et 2 à 3 heures à couper, un réel challenge physique pour de nombreuses personnes ; plaisir de visualiser assez rapidement les effets des actions (lumière qui atteint à nouveau de le sous-bois, croissance des plantes natives). Outre le fait de souhaiter éliminer un maximum de plantes envahissantes à chaque campagne, la sensibilisation d’un maximum de personnes à ce qui se passe dans les vallées est apparu comme un objectif un soi, un impact collatéral initialement non prévu ; plusieurs bénévoles ont ainsi depuis monté des associations, ou se sont regroupées, pour mener des actions similaires à Tahiti ou dans d’autres îles.

5) Vous avez parlé des impacts que peuvent avoir plusieurs EEE animales, notamment les bovins et les caprins sur des plantes indigènes, voire sur des écosystèmes entiers. Quelles mesures peuvent être prises pour les limiter ?

Depuis quelques années, plusieurs projets de mise en défens de reliques de forêts naturelles de quelques hectares ont été menées dans différentes îles de Polynésie française afin de les protégées des mammifères ensauvagés. Actuellement, c’est un projet visant à préserver des bovins et des chèvres plusieurs km² de forêt naturelle dans l’île de Rapa aux Australes qui est piloté par la SOP Manu avec le soutien de l’association locale Raumatariki et la commune. Pour ce faire, le matériel nécessaire à l’édification de près de 7 km de clôture a été acheminé récemment sur place, notamment avec le soutien de l’Armée et la dépose en hélicoptère en altitude de près de la moitié des rouleaux de grillage. La mise en place de cette clôture s’échelonnera sur 2025 et 2026 et permettra de concilier la préservation de l’ensemble de la biodiversité si originale de cette forêt (flore mais aussi faune dont une espèce de ptilope endémique de l’île), la conservation d’une ressource en eau de qualité mais également le maintien de troupeaux permettant l’approvisionnement en viande des habitants de cette île reculée et desservie uniquement par bateau à un rythme mensuel.

6)L’objectif d’éradication est-il encore atteignable pour certaines plantes exotiques envahissantes en Polynésie française ? Représentent-elles une menace importante pour la biodiversité des Marquises inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco ?

L’éradication d’une plante envahissante d’une île n’est possible que lorsqu’elle a été détectée très rapidement après son introduction et que les services publics et la population travaillent de concert pendant plusieurs années afin de s’assurer que toutes les stations ont été localisées et traitées. En effet, dans plusieurs cas, nous avons eu la mauvaise surprise de s’apercevoir que certaines stations n’ont pas été détectées et que les infestations étaient plus étendues que prévu. L’éclatement de la Polynésie française en 5 archipels et plus de 120 îles, avec des plantes et des oiseaux patrimoniaux dans la plupart d’entre elles, rend également les actions très difficiles à mettre en place. Ainsi, au lieu de dépêcher des équipes depuis l’île de Tahiti, il a été choisi à plusieurs reprises d’identifier des acteurs dans les îles concernées, de les former ainsi que de les rendre autonomes administrativement (montage d’une entreprise, rédaction de rapports…) et techniquement (suivi au GPS, techniques d’éradication appropriées…). Une telle opération a ainsi été menée sous l’impulsion de la DIREN de lutter contre le miconia dans l’île de Nuku Hiva aux Marquises. Plusieurs guides professionnels de randonnée pédestre de l’île ont été impliqués initialement pour leur formation de guide, leur connaissance du terrain, leur capacité physique mais également leur volonté de préserver la biodiversité de leur île. Certains ont eu l’audace de monter administrativement leurs entreprises et ainsi constituer des équipes efficaces sur le terrain et pouvant répondre aux attentes de la DIREN. Ces équipes préfigurent très probablement les entités qu’il faudra mettre en place dans les différentes îles marquisiennes dans le cadre de la gestion du Bien inscrit à l’UNESCO en 2024. En effet, la menace portée par les EEE végétales mais aussi animales (troupeaux ensauvagés cités précédemment auxquels il faut ajouter le cochon sauvage) sur l’intégrité du Bien est majeure tant la biodiversité des îles est sensible à toute introduction. En effet, tous les éléments du Bien nécessitent impérativement des actions presque quotidiennes, de biosécurité, de surveillance, de détection et éradication précoces, et de contrôle des EEE.

 

 

Photo du haut de page : Ua Pou © Jean-François Butaud

 

 

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