A la rencontre de Jeanne De Reviers : Chargée de mission EEEv, Végétal local et renaturation
Jeanne de Reviers a rejoint l’équipe du Conservatoire botanique national de Martinique ainsi que le Réseau EEE oute-mer en 2021 et a répondu à nos questions dans cet entretien.
1) Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous parler de votre parcours professionnel de paysagiste maître d’œuvre ?
J’ai grandi en hexagone, mes parents sont scientifiques et mon profil professionnel est plus technique que celui des architectes paysagistes classiques. J’ai vécu en Normandie dans le bassin de la seine où la problématique des EEE était déjà bien perceptible lorsque j’y étais étudiante (autour des années 2010). En effet, on pouvait déjà y observer la fermeture des pelouses calcaires sur les côteaux de la Seine sous l’effet de l’expansion du Buddleja davidii. Toutefois, ces constatations s’opposaient à ce que l’on m’enseignait dans le cursus scolaire de paysagiste, en particulier lorsque l’on abordait la question de l’utilisation plantes ornementales dans les aménagements. J’ai finalement développé mon « univers esthétique » sur des courants de pensés mettant en valeur le sauvage, comme Gilles Clément (Paysagiste théoricien du jardin en mouvement, jardin planétaire et Tiers paysage) qui proposait de l’aménagement « développement durable » mais qui ne prenait cependant pas vraiment en compte les invasions biologiques. J’ai par la suite de plus en plus essayé d’intégrer les plantes indigènes dans mes pratiques et recommandations sur la base de mes connaissances scientifiques que j’ai petit à petit solidifiées. Je suis ainsi bien placée pour comprendre les problèmes de compréhension, les malentendus et amalgames inhérents à ce corps de métier vis-à-vis de la problématique des EEE.
Lorsque je suis arrivée en Martinique pour y travailler en tant que paysagiste, j’ai pu constater le manque d’outils disponibles pour distinguer les espèces végétales exotiques des indigènes. En parallèle, le Conservatoire Botanique National de Martinique (CBNMq) s’est positionné sur le sujet et a ouvert un poste dédié, ce qui m’a permis de continuer de creuser ces questions et de répondre à mes aspirations dans un cadre professionnel.
2) Pouvez-vous nous décrire vos missions actuelles au sein du CBNMq ?
D’une manière générale, mon poste s’inscrit dans les missions d’accompagnement des politiques publics du CBNMq et je suis amenée à travailler avec tous types d’acteurs sur la thématique des EEE végétales et végétalisation avec des espèces indigènes. Il peut s’agir aussi bien des gestionnaires, que des prescripteurs, les services de l’état, les collectivités…. J’appuie l’ONF lors de l’établissement des priorités de gestion et méthode de lutte en matière d’EEEv par exemple.
Si je dois détailler plus précisément mes missions, un premier volet porte sur la gestion des EEE végétales à travers : l’animation et la structuration pour le compte de la DEAL d’une gouvernance dédiée ; l’accompagnement de la prévention d’introduction ; l’amélioration des connaissances ; la centralisation des données issues de la veille et de la détection précoce ; le conseil lors de la définition des interventions de lutte à mettre en œuvre, leur priorisation et leur suivi ainsi que la communication et la sensibilisation sur le sujet.

Présentation de la marque Végétal local auprès du réseau d’acteurs de Martinique en juillet 2023
Le second volet de mon poste consiste à proposer une alternative concrète à l’utilisation d’EEE végétales via la promotion globale des plantes autochtones (PA). Pour cela mes missions consistent à : animer et structurer une nouvelle filière de plantes locales pour le compte de la Collectivité territoriale de la Martinique (CTM) ; d’accompagner la prescription pour des projets de restauration, d’aménagement et de plantes de services agricoles ; développer les outils et connaissances pour assurer la viabilité de cette filière ; participer au réseau national des outre-mer « Végétal local » pour le compte de l’OFB ; répondre aux demandes croissantes d’adaptation aux changements climatiques et de sauvegarde de la biodiversité et communiquer sur la filière.
De mon point de vue, il est difficile de condamner l’usage des EEEv sans proposer d’alternatives, d’où l’intérêt de la promotion des espèces indigènes. Toutefois, l’utilisation de ces dernières doit être encadrée pour limiter certains risques tels que le pillage d’espèces indigènes rares et/ou menacées dans les milieux naturels, l’utilisation d’individus indigènes importés d’ailleurs et de plants systématiquement clonés qui peuvent induire une perte de diversité génétique et une plus forte exposition aux maladies allant parfois jusqu’à l’infection de peuplements sauvages. C’est dans ce contexte que nous développons la marque Végétal local en Martinique.
3) Pouvez-vous nous expliquer davantage le fonctionnement de la marque Végétal local ?
La marque Végétal local est un outil d’achat de vraies plantes indigènes communes et parfois à enjeux de replantation. L’intérêt de ce label est l’assurance pour l’acheteur de se fournir en plants issus de reproduction par graine sauvages et locales, permettant le maintien d’une diversité génétique suffisante et réellement indigène tout en répondant à des règles de récolte, de production et de traçabilité assurant l’absence de pression sur les milieux naturels. L’idée de cette marque, accessible à tous les pépiniéristes intéressés par l’adhésion, est d’être un outil de prescription équitable en faveur de la biodiversité, compatible avec le cadre de la commande publique. Jusqu’à présent, mon poste a contribué à sensibiliser et mobiliser les acteurs de la filière végétale en Martinique sur la thématique en utilisant des plantes indigènes issues de semences sauvages au travers de projets pour lesquels je peux jouer un rôle de conseil (choix des espèces, données pour la récolte, mise en culture et traçabilité, …).
4) D’après-vous, quelle pourrait être la plus-value de votre expérience en maitrise d’œuvre pour mobiliser de nouveaux acteurs sur la gestion des EEE végétales ?
Dans son rôle de conseil aux politiques publics et l’essor des projets de restauration et de lutte contre les EEE, les CBN jouent de plus en plus le rôle d’assistant à maître d’ouvrage. Ayant été moi-même maître d’œuvre pendant 10 ans dans l’aménagement du territoire, je comprends bien les demandes et anticipe les besoins au sein des projets. Ainsi mon travail avec les MOE est fluide et je crois mettre à disposition simplement et efficacement les données du CBNMq aux projets s’inscrivant dans la conservation et la restauration des écosystèmes.
Contact : Jeanne De Reviers (CBNMq)