Détection précoce d’Anolis sagrei : un exemple d’intervention rapide

L’Anole de Cuba, également appelé Anole brun (Anolis sagrei), est originaire de Cuba et des Bahamas. Sa détection récente en Guadeloupe a suscité un vif intérêt de la part des acteurs du territoire qui se sont rapidement coordonnés pour mettre en œuvre un protocole de gestion.

Répartition en dehors de son aire d’indigénat

Transporté le plus souvent accidentellement, Anolis sagrei est désormais l’un des reptiles les plus répandus à l’échelle globale. Il a été introduit sur de nombreuses îles des Caraïbes notamment en Jamaïque (Poe et Anderson, 2019), à Grenade (Green et al, 2002), à Saint-Vincent-et-les-Grenadines (Powell et Anderson, 2019), à Saint-Martin (Fläschendräger, 2010), à Anguilla (William et Carter, 2015), aux îles Turques-et-Caïques (Burgess, 2012), à Saint-Barthélemy (Questel, 2017), et à Sainte-Lucie (Williams et al, 2019). Il est également présent sur le continent américain aux États-Unis (Lee, 1985 ; Fisher, 2020) et en Amérique Centrale et du Sud. Certaines îles du Pacifique et d’Asie du Sud-Est sont également concernées comme Hawaï (Kolbe et al., 2004) et Taïwan (Norval et al., 2016).

Plusieurs revues scientifiques évoquent comme vecteur d’introduction le transport fortuit via le trafic maritime, notamment conjointement à l’importation de végétaux. C’est le cas aux îles Turques-et-Caïques et à Taïwan où l’espèce a été observée sur des bords de routes adjacentes à des pépinières (Burgess, 2012 ; Norval et al., 2016), scénario expliquant aussi la présence de cette espèce dans les Antilles françaises.

Situation dans les Antilles françaises et plus précisément en Guadeloupe

A Saint-Barthélemy, deux populations isolées ont été détectées à Colombier en 2014 et à Lurin en 2015 (Questel, 2018). Des individus femelles et mâles ainsi que des juvéniles ont été détectés à chacune de ces occasions et témoignent de l’établissement avéré ou en cours de l’espèce sur cette île. En 2017, 31 individus y ont été interceptés dans un conteneur de plantes en provenance de la Floride (Questel, 2017). A Sint-Maarten, trois mâles et deux femelles d’A. sagrei ont été également observés aux alentours du port de Phillipsburg (Fläschendräger, 2010).

L’Anole de Cuba a été identifié pour la première fois en Guadeloupe lors d’une prospection visuelle effectuée en octobre 2023 par Baptiste Angin (herpétologue, bureau d’études Ardops Environnement) dans une jardinerie de la zone commerciale de Jarry, suggérant également une introduction involontaire associée à l’importation de plantes ornementales. Suite à cette détection, des prospections ont été réalisées en octobre et en novembre par l’Office français de la biodiversité, l’Agence régionale de la biodiversité des îles de Guadeloupe (ARB-IG) et B. Angin, lors desquelles plusieurs spécimens ont été observés sur des arbustes aux abords de la route à proximité de l’établissement, dans les herbacées sur le parking de la jardinerie et le long des murs en parpaing (Carte 1).
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1- Carte de prospection de l’A. sagrei (en noir) et occurrence de C. Marmoratus (en vert) aux alentours de la jardinerie (source : OFB)

Présentation de l’espèce

Description

Anolis sagrei est un saurien de la famille des Dactyloidae. La longueur de son corps comprise entre la tête et le tronc mesure entre 70 et 90 mm chez les mâles et entre 30 et 59 mm chez les femelles. Bien que la coloration et les motifs sur son corps soient très variables, il est reconnaissable par son dessin vertébral symétrique constitué de motifs géométriques nets (Figure 2). Ces derniers plus ou moins élaborés peuvent parfois se limiter à une simple bande latérale ou à des tâches symétriques.

2- A. sagrei (face dorsale) © L. Héry

3- A. sagrei mâle © S. Sébastien

4. Plaquette d’identification d’A. sagrei et de C. marmoratus (M. Dewynter, B. Angin, K. Questel, 2024)

Certains mâles possèdent une crête dorsale et tous possèdent un fanon gulaire rouge-orangé bordé de jaune et parfois tacheté (Figure 3). Ce dernier est déployé lors de la recherche d’une partenaire pour la reproduction, pour la défense du territoire et pour dissuader les prédateurs.

L’absence d’écaille verte ou verdâtre peut limiter le risque de confusion avec d’autres espèces indigènes. Cependant, en Guadeloupe, il est possible de le confondre avec les femelles et les juvéniles de l’espèce Ctenonotus marmoratus, indigène et présent dans les zones colonisées par A. sagrei (carte 1). Une plaquette pour distinguer les deux espèces a été conçue pour faciliter l’identification (Figure 4)

Écologie et reproduction

La reproduction de cet anole est saisonnière de mars-avril à août-septembre, mais elle peut avoir lieu toute l’année si les conditions favorables sont réunies. Un intervalle de deux semaines est nécessaire entre les pontes, chacune comptabilisant un ou deux œufs déposés au sol dans la litière sous les feuilles.

A. sagrei peut occuper une grande diversité d’habitats naturels et anthropisés, préférentiellement les milieux ouverts et perturbés. Son régime alimentaire est également diversifié. Majoritairement insectivore et carnivore, il peut aussi se nourrir de fruits, de baies et de nectar.

Impacts sur les espèces indigènes

L’introduction de cet anole en Guadeloupe étant récente, ses impacts sur l’île ne sont pas encore connus. Toutefois, un impact sur l’anole indigène Ctenonotus marmoratus protégé au titre du Code de l’environnement est probable.

Des impacts d’A. sagrei sur des reptiles indigènes ont par ailleurs été signalés sur d’autres îles colonisées. Sur celles au large de la Floride, son introduction a induit une adaptation de l’espèce de A. carolinensis qui a développé des coussinets plus grands après vingt générations pour faciliter son déplacement dans les hauteurs de la strate arborée afin d’éviter l’espèce introduite (Stuart et al., 2014). Un déplacement dans les hauteurs de la végétation des espèces indigènes A. griseus et A. trinitatis a également été observé à Saint-Vincent (Treglia et al., 2008). En Californie, A. sagrei occupe les mêmes habitats et utilise les mêmes ressources que l’espèce indigène Sceloporus occidentalis qui pourrait être soumise à de la compétition si les aires de répartition des deux espèces venaient à se chevaucher (Fisher, 2020). Il en est de même pour le Scinque des Bermudes (P. longistrostris), en danger critique d’extinction d’après la liste rouge mondiale de l’UICN, dont l’habitat est similaire à celui qu’occupe A. sagrei (Stroud et al., 2017). Dans son aire native aux Bahamas, sa présence est corrélée à une diminution de l’abondance et de la diversité des araignées, suggérant un impact sur les communautés d’arthropodes dans ses aires d’introduction (Schpener et Toft, 1983).

Réglementation

A. sagrei figure sur la liste des espèces réglementées d’après l’arrêté ministériel de niveau I du 8 février 2018 relatif à la prévention de l’introduction et de la propagation des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire de la Guadeloupe. Il est également réglementé au titre de l’arrêté ministériel de niveau II du 7 juillet 2020 relatif à la prévention d’introduction et de la propagation des espèces animales exotiques envahissantes – interdiction de toutes activités sur les spécimens vivants.

Le protocole de capture mis en œuvre : de premiers résultats

Les observations effectuées lors des prospections en novembre ont motivé l’organisation en décembre d’une réunion des acteurs concernés (l’OFB, Caribaea Initiative, PatriNat, l’Agence Territoriale de l’Environnement de Saint-Barthélemy, l’ARB-IG, la DEAL Guadeloupe) pour définir et coordonner les actions à mettre en œuvre afin de limiter la propagation de la population introduite voire de l’éradiquer.

Aucune intervention n’avait encore été conduite pour gérer cette espèce dans les Antilles françaises, ainsi, l’OFB, la DEAL Guadeloupe, l’ARB-IG, B. Angin et Caribaea Initiative, ont élaboré un premier protocole en janvier 2023. Celui-ci a été ajusté au cours des opérations de terrain. Des échanges avec la DAAF de Guadeloupe ont permis d’intégrer à ce protocole les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé animale relatives à la mise à mort des reptiles.

Un tutorat a été réalisé par B. Angin auprès de 5 agents de l’ARB-IG, de Caribaea Initiative et de l’OFB sur l’identification des deux espèces présentes sur le site (carte 1), lors d’une prospection de terrain le 14 novembre 2023. Ces nouveaux opérateurs ont effectué des prospections en binôme avec un agent formé afin qu’ils puissent s’exercer à distinguer l’anole exotique envahissant A. sagrei de l’anole protégé C. marmoratus avant les opérations de capture.

Organisation de l’opération sur le terrain © L. Héry

La gérante de la pépinière a accordé aux opérateurs l’accès à la zone envahie par A. sagrei pour permettre la mise en place du protocole. Ces opérations ont mobilisé des agents de l’OFB, de l’ARB-IG, de la DEAL Guadeloupe ainsi que des chercheurs de Caribaea Initiative. Les anoles moins actifs la nuit, étaient plus faciles à capturer le soir et les interventions ont été organisées de 18h00 à 21h (Figure 5). La méthode proposée était de capturer manuellement les anoles puis de les mettre à mort selon la technique développée par le Dr Christophe Cambrone (Caribaea Initiative), par destruction de la boîte crânienne à l’aide d’une pince à percer. Les spécimens ont été mis à mort sur le site d’intervention puis collectés par Caribaea Initiative pour des études génétiques et l’analyse de leur contenus stomacaux.

Afin d’éviter le risque de destruction de l’espèce protégée, les individus observés pour lesquels un doute subsistait n’ont pas été capturés et tous les individus prélevés ont été  examinés par deux observateurs différents avant leur mise à mort.

Au total, sept opérations de capture ont été organisées entre début février et mi-mars à l’intérieur de la pépinière où sont stockées les plantes, sur le parking clôturé où les densités d’individus sont importantes et sur plusieurs parcelles adjacentes jusqu’aux zones de friches situées à proximité.

En mars 2024, 311 spécimens avaient déjà été capturés avec une équipe de 7 agents en moyenne.

Les opérations ont été grandement facilité par la collaboration de la gérante de la jardinerie qui a permis l’accès au site en soirée.  Les établissements concernés ont également participé activement à la démarche, leur permettant de bénéficier des conseils d’experts.

Cependant, la vente de végétaux aux particuliers représente un risque significatif de dispersion de l’espèce vers d’autres localités sur l’île, les individus pouvant se cacher dans les plantes ornementales commercialisées. Certains individus ont été difficiles à capturer dans des lieux peu accessibles et la reproduction rapide d’A sagrei implique l’organisation de captures régulières dans la pépinière et ses environs, compliquant l’atteinte de l’objectif d’éradication.

Perspectives

A l’issue de ces opérations l’objectif d’éradication n’est pas atteint. Malgré les interventions, la diminution du nombre de captures sur le site n’a pas encore été observée, et la taille de la population introduite reste inconnue. Toutefois, la dynamique collective des interventions mises en place a peut-être permis de contenir l’expansion de l’espèce et d’autres opérations serons effectuées. Des actions répétées et soutenues permettront d’évaluer s’il est possible de diminuer les effectifs de la population introduite ou de l’éradiquer.

Un planning d’intervention est actuellement en cours de préparation afin de renforcer les opérations en juin. Des visites et des actions de sensibilisation dans d’autres pépinières ainsi que des prospections de leurs environs sont prévues, ainsi que la recherche de financements pour travailler sur un plan de lutte à long terme.

Signalez l’espèce

En savoir plus

Site Internet CABI

Fiche espèce du programme MERCI

  • Burgess, J. (2012). Cuban Brown Anoles (Anolis sagrei) in the Turks & Caicos Islands. Reptiles & Amphibians19(4), 263-264. (lien)
  • Fisher, S. R., Del Pinto, L. A., & Fisher, R. N. (2020). Establishment of brown anoles (Anolis sagrei) across a southern California county and potential interactions with a native lizard species. PeerJ8, e8937. (lien)
  • Fläschendräger 2010 : Cuban Brown Anoles (Anolis sagrei) in St. Maarten.IRCF Reptiles and Amphibians, vol. 17, p. 121-122.
  • Greene, B. T., Yorks, D. T., Parmerlee, J. S., Powell, R., & Henderson, R. W. (2002). Discovery of Anolis sagrei in Grenada with comments on its potential impact on native anoles. Caribbean Journal of Science38(3-4), 270-272. (lien)
  • Kolbe, J. J., Glor, R. E., Rodríguez Schettino, L., Lara, A. C., Larson, A., & Losos, J. B. (2004). Genetic variation increases during biological invasion by a Cuban lizard. Nature431(7005), 177-181. (lien)
  • Lee, J. C. (1985). Anolis sagrei in Florida: phenetics of a colonizing species I. Meristic characters. Copeia, 182-194. (lien)
  • Norval, G., Wang, G. Q., Mao, J. J., Liu, L. X., Chuang, M. H., Yang, Y. J., … & Brown, L. R. (2016). The Known Distribution of an Invasive Lizard, the Brown Anole (Anolis sagrei Duméril & Bibron, 1837), in Taiwan. Reptiles & Amphibians23(1), 62-67. (lien)
  • Powell, R., & Henderson, R. (2007). The St. Vincent (Lesser Antilles) herpetofauna: Conservation concerns. Applied Herpetology4(4), 295-312. (lien)
  • Questel K. 2017. La distribution des lézards exotiques récemment arrivés sur l’île. Brèves notes sur la biodiversité de Saint-Barthélemy. Le Bulletin de l’ATE N°1 . p2. (lien)
  • Questel K. 2017. Proposition d’une méthodologie de classement des espèces indigènes et des espèces exotiques en vue de prioriser les actions de conservation ou leur gestion. Le Bulletin de l’ATE N°2 . p13. (lien)
  • Schoener, T. W., & Toft, C. A. (1983). Spider populations: extraordinarily high densities on islands without top predators. Science219(4590), 1353-1355. (lien)
  • Stroud, J. T., Giery, S. T., & Outerbridge, M. E. (2017). Establishment of Anolis sagrei on Bermuda represents a novel ecological threat to Critically Endangered Bermuda skinks (Plestiodon longirostris). Biological Invasions19, 1723-1731. (lien)
  • Stuart, Y. E., Campbell, T. S., Hohenlohe, P. A., Reynolds, R. G., Revell, L. J., & Losos, J. B. (2014). Rapid evolution of a native species following invasion by a congener. Science346(6208), 463-466. (lien)
  • Treglia, M. L., Muensch, A. J., Powell, R., & Parmerlee, J. S. (2008). Invasive Anolis sagrei on St. Vincent and its potential impact on perch heights of Anolis trinitatisCaribbean journal of science44(2), 251-256. (lien)
  • Williams, R. J., & Carter, D. (2015). Cuban brown anoles (Anolis sagrei) in Anguilla. Reptiles & Amphibians22(4), 182-183. (lien)
  • Williams, R. J., Morton, M. N., Daltry, J. C., & Toussaint, A. (2019). The distribution of non-native Anolis lizards on Saint Lucia, Lesser Antilles. Caribbean Journal of Science49(2-3), 281-289. (lien)

 

Rédaction et contributions : Clara Singh (Comité français de l’UICN) et Lyza Héry (Agence Régionale de la Biodiversité des Iles de Guadeloupe)

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