Lutte biologique contre deux plantes aquatiques flottantes, Salvinia molesta et Eichhornia crassipes
Dans son numéro 18 daté de mai 2024, la lettre “Plus d’infos Exotiques Envahissantes” de l’Agence néocalédonienne de la Biodiversité met à disposition des personnes intéressées un “Bilan pluriannuel des actions de lutte biologique contre la Jacinthe et la Fougère d’eau“, une lutte biologique engagée depuis plusieurs années sur ce territoire.
Ces deux espèces de plantes aquatiques flottantes sont connues dans la quasi-totalité des zones tropicales et subtropicales de la planète comme des espèces invasives aux très importantes capacités de colonisation des eaux douces stagnantes. Par la couverture totale de la surface des eaux qu’elles peuvent produire, elles y occasionnent des dommages quelquefois très graves, écologiques sur la flore et la faune indigène inféodées et économiques sur les usages des milieux colonisés et de la ressource en eau.
Dans la synthèse de 2021 sur la “Stratégie de lutte contre les espèces exotiques envahissantes dans les espaces naturels de Nouvelle-Calédonie“, ces deux plantes font partie des 22 espèces végétales prioritaires.
La province Sud de Nouvelle-Calédonie, par l’intermédiaire de sa Biofabrique, a lancé début 2015 un programme de lutte biologique tout d’abord contre la Jacinthe d’eau avec une introduction dans un seul plan d’eau. Le programme a ensuite porté sur la Fougère d’eau à partir de fin 2017. Trois espèces ont été élevées puis introduites dans les milieux aquatiques du territoire colonisés par les deux plantes. L’une, Cyrtobagous salviniae, est spécifique de la Fougère d’eau (Salvinia molesta), les deux autres de la Jacinthe d’eau (Eichhornia crassipes), il s’agit de Neochetina bruchi et de Neochetina eichhorniae. Ces trois charançons, coléoptères de quelques millimètres de longueur, ont déjà été introduits dans différentes parties du monde dans ce même objectif.
Le bilan de cette lutte, établi au 31 décembre 2023, présente sous forme synthétique les méthodes d’élevage, de lâcher et de suivi des insectes, et les résultats des introductions débutées en 2015 (voir par exemple les premiers résultats) puis renforcées depuis 2021 par la contribution de l’ANCB à l’échelle de Grande-Terre pour concerner actuellement près de 60 sites.
Résultats des lâchers et suivis
Dans le cas de la Fougère d’eau, l’introduction dans les sites à traiter se fait par l’intermédiaire de plantes porteuses de Cyrtobagous salviniae prélevées sur des sites déjà inoculés alors que pour la Jacinthe d’eau, les charançons sont collectés individuellement dans les cuves d’élevage et lâchés directement dans les sites envahis.
Des fiches de lâchers et suivis sont utilisées pour renseigner l’évolution du niveau d’invasion après lâchés des auxiliaires biologiques. Hormis un suivi photographique réalisé à chaque campagne de suivi, le recouvrement (en %) des sites par les plantes est noté comme indicateur d’efficacité.
Les résultats obtenus sont présentés selon les deux espèces et les deux Provinces du territoire. 38 sites colonisés par la Jacinthe d’eau ont fait l’objet d’introductions, 17 depuis 2015 et 21 supplémentaires depuis fin 2021. La Fougère d’eau a été ciblée dans 20 sites, 8 à partir de fin 2017 et 12 supplémentaires de plus depuis fin 2021.
Les résultats détaillés et les cartes de localisation des sites traités d’introductions figurent dans ce bilan. Pour les deux espèces, les effets des charançons introduits sur les populations de plantes présentes sont assez variables compte tenu, en particulier, du caractère récent de ces inoculations. Au total, la Jacinthe d’eau a cependant disparu de deux des sites et la Fougère d’eau de cinq. Des observations ont par ailleurs été faites sur 15 sites abritant des charançons sans avoir bénéficié de lâchers organisés. Cela concerne 11 sites colonisés par la Jacinthe d’eau et 4 sites par la Fougère d’eau. Ces introductions inattendues pourraient s’expliquer par un transport naturel par des oiseaux d’eau ou par une introduction intentionnelle réalisée par des “volontaires”.
Un commentaire ?
Les possibilités de contrôle biologique de nombreuses espèces exotiques envahissantes font régulièrement l’objet de propositions, réflexions et controverses portant précisément sur les risques ultérieurs d’introduction d’une nouvelle espèce dans des écosystèmes déjà soumis à des perturbations importantes conséquences des activités humaines. Comme ces risques restent en très grande part impossibles à évaluer précisément avec les connaissances actuelles, leur mise en œuvre effective ne se réalise encore que dans relativement peu de situations. Certains de ces agents (auxiliaires) sont pourtant connus et testés depuis longtemps avec une efficacité reconnue sur des plantes aux capacités d’invasion indéniables : c’est bien le cas des trois charançons choisis dans cette stratégie néocalédonienne qui devraient aider les gestionnaires de Nouvelle-Calédonie à réguler ces deux plantes très envahissantes…
Pour en savoir plus sur le contrôle biologique, voir par exemple :
- une présentation générale : https://especes-exotiques-envahissantes.fr/le-controle-biologique-des-especes-invasives/
- un exemple d’un pays déjà bien engagé : https://especes-exotiques-envahissantes.fr/invasions-biologiques-en-afrique-du-sud/
- un exemple sur une autre plante aquatique : https://especes-exotiques-envahissantes.fr/une-evaluation-de-la-valeur-economique-de-stenopelmus-rufinasus-comme-agent-de-controle-biologique-azolla-filiculoides/
- Programme régional du PILN-PROE « Naturel Enemies – Natural Solutions » sur la lutte biologique dans la région Pacifique : https://www.sprep.org/prismss/natural-enemies-natural-solutions
Photo du haut de page : Invasion de jacinthes d’eau (ANCB)
Rédaction : Alain Dutartre (Expert indépendant)
Relecture : Patrick Barrière (Agence néo-calédonienne de la Biodiversité)