L’Anole de Cuba (Norops sagrei), détecté pour la première fois en Guyane
Après une première détection en Guadeloupe en 2023 ayant déjà fait l’objet d’une alerte du Centre de ressources EEE et du Réseau EEE outre-mer, l’Anole de Cuba (Norops sagrei) vient d’être identifié en Guyane française. Originaire de Cuba et des Bahamas, la répartition de cette espèce risque ainsi de s’accroître dans la région.
Historique de colonisation

1.Carte des signalements de N. sagrei – Source : iNaturalist
N. sagrei, également appelé Anole de Cuba, est aujourd’hui l’un des reptiles les plus largement répandus au niveau mondial. D’après les données bibliographiques, celles du GBIF et d’iNaturalist, ce lézard ne dépassant pas 20 cm de longueur (7 cm pour le corps) a été introduit dans les Caraïbes, dans certaines régions des Etats-Unis (Lee, 1985 : Fisher, 2020), en Amérique centrale et du sud (Romero et al., 2024)(Fig. 2). Des populations introduites sont également présentes dans des îles du Pacifique comme à Hawaï (Kolbe et al., 2004) et il a été signalé au Canada et en Israël. Il est particulièrement abondant dans les Caraïbes et le Sud-Est des Etats-Unis où de fortes concentrations de signalements indiquent une expansion significative de son aire de répartition (Fig. 1). Les pépinières et les zones portuaires jouent un rôle important dans sa dispersion, comme à Taïwan, aux îles Turks-et-Caïcos (Burguess, 2012 ; Norval, 2016) ou encore en Guadeloupe (OFB et ARBIG, 2024).

2.Distribution globale de N. sagrei. Les zones en rouge et en jaune indiquent les régions aux plus fortes concentrations d’occurrences (Kernel Density map)(Romero et al., 2024)
Présentation de l’espèce
Voir alerte sur la détection de l’espèce en Guadeloupe
Situation dans les Antilles françaises
A Saint-Barthélemy, deux populations isolées ont été détectées à Colombier en 2014 et à Lurin en 2015 (Questel, 2018). Des individus adultes, femelles et mâles, et des juvéniles ont été observés à chacune de ces occasions et témoignent de l’établissement en cours, voire avéré, de l’espèce sur cette île. En 2017, 31 individus y ont été interceptés dans un conteneur de plantes en provenance de la Floride (Questel, 2017). A Sint-Maarten, trois mâles et deux femelles de N. sagrei ont également été observés aux alentours du port de Phillipsburg (Fläschendräger, 2010).

3. En Guadeloupe, la zone de plus forte abondance d’ N. sagrei se situe sur l’emprise d’une jardinerie dans la zone industrielle de Jarry
L’espèce a été détectée en Guadeloupe en 2023, dans une jardinerie de la zone industrielle de Jarry où elle a été introduite conjointement à l’importation de plantes ornementales (Fig. 3). Un protocole de gestion a été défini et mis en œuvre peu de temps après la détection grâce à la concertation rapide des acteurs du territoire. L’éradication n’a finalement pas pu être atteinte du fait de la présence de l’espèce en Guadeloupe depuis finalement au moins trois ans avant sa détection, de l’importante densité de sa population et de ses fortes capacités de dispersion (OFB et ARBIG, 2024).
Situation en Amérique du Sud et plus précisément en Guyane française
En Equateur et au Brésil
La détection de N. sagrei en Equateur en octobre 2015 a constitué le premier signalement de l’espèce en Amérique du Sud. Il a été identifié une première fois dans le parc touristique de Guayaquil dans la zone urbaine de Sanborondón dans la province de Guayas. Bien que l’origine de l’introduction du lézard en Equateur ne soit pas connue, il est possible qu’il ait été acheminé accidentellement par des navires de marchandises sur le canal de Panama depuis les Caraïbes (Amador et al., 2017). Des échantillonnages et des signalements ont permis de confirmer sa présence et son établissement sur plusieurs autres provinces côtières telles que Manabi et Esmeraldas, où les conditions environnementales sont proches de son aire de répartition d’origine (Narváez et al., 2024). Des observations en dehors de ses sites d’invasion, à l’intérieur des terres dans la province de Zamora-Chinchipe suscitent des inquiétudes quant à sa capacité à envahir des milieux à plus haute altitude et à persister dans des conditions environnementales plus fraiches et plus humides (Romero et al., 2025).
Peu après sa détection en Equateur, le lézard a été observé en janvier 2017 au Brésil à Rio de Janeiro en limite de l’aéroport international Antônio Carlos Jobim. La localisation des spécimens suggère une introduction accidentelle lors du transport aérien de marchandises. L’observation d’adultes, mâles et femelles, et de juvéniles témoigne de l’établissement local de l’espèce au Brésil (Oliveira et al., 2018).
En Guyane française
Détection
En 2024, l’expert herpétologue du bureau d’études Biotope, Arnaud AURY, a détecté N. sagrei au sein de la zone industrielle de TERCA (commune de Matoury, 97351) lors d’un inventaire réalisé pour une étude d’impact (Fig. 4 et 5). D’après les connaissances actuelles, l’espèce serait pour l’instant cantonnée dans cette zone d’introduction de quelques hectares. Les premiers relevés montrent une population bien établie avec des mâles, des femelles et des jeunes en nombre conséquent. En une soirée de mars 2025, 33 individus ont ainsi pu être comptabilisés.

Figure 4-5 : distribution actuelle de Norops sagrei en Guyane (données issues de la base en ligne www.faune-guyane.fr)
Impacts

Figure 6 : Norops auratus, © Arnaud AURY
Les impacts écologiques de N. sagrei en Guyane ne sont pas encore connus. Cependant, contrairement à de nombreuses espèces d’anolis indigènes qui ont une niche écologique restreinte, N. sagrei présente une grande plasticité environnementale lui permettant d’occuper une large diversité de milieux. Son impact le plus important est la compétition pour les habitats et les ressources alimentaires avec des espèces d’anolis indigènes. En effet, dans ses régions d’introduction, N. sagrei a fréquemment été à l’origine de la réduction de populations de lézards indigènes, de changements de structures de communautés d’invertébrés et d’interactions trophiques. En ce sens, il représente une menace importante pour la biodiversité de Guyane, en particulier pour l’Anolis doré (Norops auratus), espèce d’intérêt patrimonial et déterminante de ZNIEFF (Fig. 6). N. auratus est présent dans les savanes et les milieux ouverts herbacés du littoral (pâturages, marais herbacés…) ainsi qu’à l’intérieur des terres dans quelques savanes roches, soit des habitats potentiellement favorables à l’expansion de N. sagrei. Déjà menacé par la fragmentation de son habitat, l’Anolis doré est actuellement classé « NT » sur la Liste rouge régionale, aussi l’introduction d’EEE comme N. sagrei pourrait dégrader l’état de conservation de ses populations.
Perspectives
Une étude est envisagée prochainement afin de mieux caractériser l’invasion de ce lézard sur le territoire, d’identifier ses éventuels impacts et d’alimenter les réflexions pour une éventuelle gestion de cette espèce.
Réglementation
Norops sagrei figure sur la liste des espèces réglementées au titre de l’arrêté ministériel de niveau II du 17 septembre 2020 relatif à la prévention d’introduction et de la propagation des espèces animales exotiques envahissantes – interdiction de toutes activités sur les spécimens vivants sur le territoire de Guyane. (lien)
Signalez l’espèce
La présence de l’espèce en Guyane peut être signalée sur la base de données participative : www.faune-guyane.fr. ou en contactant l’association locale de protection des reptiles et des amphibiens : CERATO (https://cerato-guyane.com/)
En savoir plus
Fiche espèce du programme MERCI
- Amador, L., Ayala-Varela, F., Nárvaez, A. E., Cruz, K., & Torres-Carvajal, O. (2017). First record of the invasive Brown Anole, Anolis sagrei Duméril & Bibron, 1837 (Squamata: Iguanidae: Dactyloinae), in South America. Check List, 13(2), 2083-2083. (lien)
- Burgess, J. (2012). Cuban Brown Anoles (Anolis sagrei) in the Turks & Caicos Islands. Reptiles & Amphibians, 19(4), 263-264. (lien)
- Fisher, S. R., Del Pinto, L. A., & Fisher, R. N. (2020). Establishment of brown anoles (Anolis sagrei) across a southern California county and potential interactions with a native lizard species. PeerJ, 8, e8937. (lien)
- Fläschendräger 2010 : Cuban Brown Anoles (Anolis sagrei) in St. Maarten.IRCF Reptiles and Amphibians, vol. 17, p. 121-122.
- Kolbe, J. J., Glor, R. E., Rodríguez Schettino, L., Lara, A. C., Larson, A., & Losos, J. B. (2004). Genetic variation increases during biological invasion by a Cuban lizard. Nature, 431(7005), 177-181. (lien)
- Lee, J. C. (1985). Anolis sagrei in Florida: phenetics of a colonizing species I. Meristic characters. Copeia, 182-194. (lien)
- Narvaez, A.; Ayala-Varela, F.; Cuadrado, S.; Cruz-Garcia, K.; Yanez-Munoz, M.; Amador, L. Updated Distribution of the Brown Anole in Continental Ecuador: A Case of Urban Spaces Favoring the Establishment of an Opportunistic Exotic Species. BioInvasions Rec. 2024, 13, 373–384. (lien)
- Norval, G., Wang, G. Q., Mao, J. J., Liu, L. X., Chuang, M. H., Yang, Y. J., … & Brown, L. R. (2016). The Known Distribution of an Invasive Lizard, the Brown Anole (Anolis sagrei Duméril & Bibron, 1837), in Taiwan. Reptiles & Amphibians, 23(1), 62-67. (lien)
- Oliveira, J. C., Castro, T. M., Vrcibradic, D., Drago, M. C., & Prates, I. (2018). A second Caribbean anole lizard species introduced to Brazil. Herpetology Notes, 11, 761-764. (lien)
- OFB & ARBIG (2024). Détection et lutte précoce contre un reptile exotique envahissant en Guadeloupe : l’anolis de la sagra (Norops sagrei) – Premiers résultats après 6 mois de lutte. (lien)
- Questel K. 2017. La distribution des lézards exotiques récemment arrivés sur l’île. Brèves notes sur la biodiversité de Saint-Barthélemy. Le Bulletin de l’ATE N°1. p2. (lien)
- Questel K. 2017. Proposition d’une méthodologie de classement des espèces indigènes et des espèces exotiques en vue de prioriser les actions de conservation ou leur gestion. Le Bulletin de l’ATE N°2. p13. (lien)
- Romero, V., Maxi, E., Cando, K., Vega, M., Sozoranga, J., & Saa, L. R. (2025). Borderless Lizards: Unveiling Overlooked Records and the Expanding Invasion of Anolis sagrei in Ecuador. Diversity, 17(5), 339. (lien)
Photo du haut de page : Norops sagrei sur la zone commerciale TERCA en Guyane @Arnaud AURY
Rédaction : Clara Singh (Comité français de l’UICN), Vincent Rufray et Clarisse Pettier (Biotope Guyane),
Relecture : Alain Dutartre (Expert indépendant) et Yohann Soubeyran (Comité français de l’UICN)