Guyane : Premiers signalements de l’Écrevisse à pinces rouges (Cherax quadricarinatus)
Répartition naturelle et habitats
Cherax quadricarinatus, plus communément appelée Écrevisse à pinces rouges, est originaire du Nord Est de l’Australie et du sud de la Nouvelle Guinée où elle a dû s’adapter à des conditions environnementales difficiles. Elle a ainsi développé des capacités adaptatives importantes lui permettant de s’établir dans divers habitats. Restreinte aux climats tropicaux et subtropicaux (Semple et al., 1995), elle préfère occuper le fond des rivières aux débits lents, les milieux stagnants et rocheux et peut remonter les cours d’eau pour rejoindre des milieux lentiques. Sa tolérance à un certain niveau de salinité laisse supposer la possibilité de déplacements d’un bassin versant à un autre.
Description et caractéristiques de l’espèce
L’espèce a été décrite avec précision par Souty-Grosset et al., (2006). De couleurs vives, elle est aisément reconnaissable par son corps bleu parfois vert olive, ponctué de taches beiges et orné de rayures rouges sur l’abdomen. Cette écrevisse présente trois paires de pinces dont la première lui permet d’attaquer et de se défendre. Les articulations des griffes et les pattes en arrière des pinces sont de couleur beige à rouge.
La croissance de cette écrevisse est très rapide et les individus les plus imposants peuvent mesurer jusqu’à 25 cm. Le plus souvent, son poids est inférieur à 100 g et les individus pesant 200 g sont déjà considérés comme de grande taille. Elle peut se reproduire toute l’année et la maturité sexuelle est atteinte entre 6 et 9 mois. Les femelles peuvent pondre deux à trois fois dans l’année, chaque ponte pouvant compter 300 œufs. C.quadricarinatus est un prédateur omnivore et détritivore et son régime alimentaire peut être ajusté en fonction du milieu.
Répartition actuelle, voies d’introduction et de dispersion
Une espèce à fort potentiel pour l’aquaculture
La rapidité de la croissance de cette écrevisse, sa taille importante, associées à sa tolérance aux variations de la qualité de l’eau, en font une espèce à fort potentiel pour l’aquaculture (Anson and Rouse, 1994). Elle est également très attrayante pour l’aquariophilie en raison de ses couleurs chatoyantes (Ayong et Yeo, 2007). Le développement plutôt lent de cette filière aquacole a débuté à la fin des années 80 en Australie, puis a connu un essor dans les années 90 lorsque des pays d’Asie du Sud, d’Amérique du Sud et du Nord, d’Afrique, d’Europe mais aussi la Nouvelle-Calédonie et Israël ont obtenu l’autorisation d’importer des individus reproducteurs et des juvéniles. Les écrevisses à pinces rouges sont commercialisées vivantes et les risques d’introduction dans le milieu naturel lors d’échappées ou de relâchés sont très importants. Elle fût également l’objet de transferts illégaux par des pêcheurs pour un usage récréatif.
C.quadricarinatus a été introduite dans 67 pays ou territoires dont 22 d’entre eux accueillent désormais des populations établies sans compter la Guyane (Haubrock et al., 2021). Elle est ainsi présente sur tous les continents à l’exception de l’Antarctique et est actuellement la deuxième espèce d’écrevisse la plus cultivée et la plus prélevée à l’échelle globale après l’Ecrevisse de Louisane (Procambarus clarkii)(FAO 2020a).
Introduction en Martinique
En France, l’espèce a été introduite en Martinique dans les années 2000 afin de relancer la filière aquacole suite au retrait sur le marché de l’espèce Macrobrachium rosenbergii pour des raisons sanitaires. C.quadricarinatus a donc été importée depuis Cuba en 2004 et les stocks ont été partagés entre plusieurs éleveurs dont la plupart ont cessé leur activité en raison d’une concentration en pesticides supérieures aux normes réglementaires dans leurs points d’eau. Elle est vendue à des particuliers et a été rejetée à plusieurs reprises dans les milieux aquatiques dans lesquelles elle s’est établie et prolifère. En 2015, l’espèce était observée dans trois rivières et un système clos, puis des prospections plus larges en 2018 ont révélé la présence de 10 nouvelles populations. Désormais bien identifiée comme espèce exotique envahissante sur l’île, elle fait l’objet de travaux de recherche visant à mieux connaître sa répartition sur le territoire, via notamment le développement d’une méthode de détection utilisant l’ADN environnemental. Les premiers résultats de ces travaux ont identifié 16 populations introduites depuis 2004 (Baudry et al., 2020) et les derniers chiffres obtenus révèlent la présence de l’espèce sur 83 localités réparties sur 53 rivières (Baudry et al., 2021), témoignant de la rapidité de sa propagation. Ces travaux de recherche portent également sur l’identification des impacts de cette espèce sur les communautés indigènes et s’intéressent également aux enjeux écotoxicologiques liés à ses capacités de bioaccumulation.
Introduction à La Réunion
L’espèce a également été introduite à Réunion et a été recensée sur le bassin versant de l’Étang de Saint-Paul (ARDA, FDPPMA).
Un risque d’expansion sous l’effet du réchauffement climatique
L’espèce peut survivre aux basses températures hivernales et une augmentation des températures, dans une certaine limite peut avoir un effet positif sur le succès des pontes. Le risque d’établissement pourrait ainsi être amplifié sous les effets du changement climatique, notamment en région méditerranéenne.
Situation en Guyane
En Guyane, Cherax quadricarinatus a été détectée durant 2020 sur les bassins versants de la rivière Cayenne et du Mahury.
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Sur la Comté (bassin versant du Mahury), deux données d’occurrence ont été signalées au même endroit. L’espèce est présente en grande quantité dans le bassin de décantation d’un complexe de pisciculture et les fortes pluies des derniers mois ont provoqué des débordements. Il est donc hautement probable que l’espèce soit aujourd’hui établie dans la rivière (Chevalier, comm. pers.) ;
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Sur la Montsinéry (bassin versant de la Rivière Cayenne), les données sont plus lacunaires, cependant, l’élevage de cette écrevisse et son commerce semblent plus développés. Différents témoignages indiquent que l’espèce serait présente dans la rivière mais aussi élevée dans des étangs (Chevalier, comm. pers).
Des questions se posent quant à sa capacité à se déplacer d’un bassin versant à un autre indépendamment d’interventions humaines. Contrairement aux larves de crevettes, les juvéniles d’Écrevisse à pinces rouges restent au ventre de la mère jusqu’à une taille de 1 à 2 cm et ne migrent pas dans l’eau. Les risques de dispersion naturelle sont donc peut-être moins probables que pour M.rosenbergii (Baudry, comm. pers.). Cependant, la situation en Guyane est différente de celle en Martinique du fait entre autres de la faible salinité et des courants vers l’ouest. Les possibilités de tels déplacements sont donc peu connus même si le principal facteur de propagation reste la translocation par l’homme.
Impacts potentiels
De nombreuses observations témoignent d’impacts forts par prédation sur la végétation, les crustacés, les poissons indigènes, provoquant donc un déséquilibre important des réseaux trophiques. Elle peut également avoir un comportement agressif et entrer en compétition avec les espèces indigènes comme Macrobrachium carcinus en Martinique, espèce également autochtone en Guyane (Clavier, comm., pers.), mais aussi d’autres crustacés comme les crabes d’eau douce pour la ressource alimentaire et les habitats (Haubrock et al, 2021, Baudry, comm. pers). D’autres dommages notamment au niveau d’infrastructures tels que les dispositifs d’irrigation ont été identifiés à la Réunion (Robinet, 2010). Des impacts sanitaires peuvent également entrer en ligne de compte car elle bioaccumule certaines molécules si le milieu est pollué et peut aussi transmettre des pathogènes tel que Aphanomyces astaci, porté par les écrevisses américaines (Haubrock et al.,2021)
La Guyane, dont le contexte diffère de celui de la Martinique, car non insulaire avec notamment un plus grand nombre de prédateurs, pourrait montrer des réponses différentes suite à cette introduction. D’après ces premières détections, l’espèce n’est pour l’instant qu’aux premiers stades de son invasion, cependant, les risques d’atteintes aux milieux naturels restent considérables et la situation demeure très préoccupante.
Statut réglementaire
C.quadricarinatus figure en annexe des arrêtés de niveau II relatifs à l’interdiction de toutes utilisations sur les spécimens vivants d’espèces animales exotiques envahissantes en Guadeloupe et en Martinique. L’utilisation de cette espèce n’était jusqu’à présent pas réglementée en Guyane, cependant, la veille scientifque effectuée et coordonnée avec les services de l’Etat a permis la modification de cette règlementation à l’aide d’un argumentaire détaillé. C.quadricarinatus sera donc ajoutée à l’annexe de l’arrêté ministériel correspondant.
Rédaction : Clara Singh (Comité français de l’UICN)
Relectures et contributions : Thomas Baudry (Université de Poitier – Université des Antilles), Micheline Paimba (DGTM Guyane), Johan Chevalier (Chercheur indépendant) et Emmanuelle Sarat (Comité français de l’UICN).
Pour en savoir plus :
Informations et signalement de l’espèce pour la Guyane : vous avez observé une EEE ?
Participez à la mise à jour de la base de données en écrivant à l’adresse mail dédiée aux EEE : eee973@developpement-durable.gouv.fr en indiquant : la date de l’observation, le lieu (coordonnées GPS si possible), l’espèce observée, le nombre d’individus observés.
Informations et signalement de l’espèce pour la Martinique : vous avez observé une EEE ?
Participez à la mise à jour de la base de données en la signalant de deux façons possibles :
* en écrivant à l’adresse mail dédiée aux EEE : eee972@developpement-durable.gouv.fr en indiquant : la date de l’observation, le lieu (coordonnées GPS si possible), l’espèce observée, le nombre d’individus observés.
* en remplissant directement le formulaire de signalement en ligne !
Informations et signalement de l’espèce pour la Guadeloupe : vous avez observé une EEE ?
Participez à la mise à jour de la base de données en envoyant le formulaire disponible en ligne à : eee971@developpement-durable.gouv.fr en indiquant : la date de l’observation, le lieu (coordonnées GPS si possible) en joignant une photo de l’espèce observée.
Ressources et références citées :
Articles scientifiques et rapports
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FAO (2020a) Fisheries and Aquaculture Information and Statistics Service. Food and Agriculture Organization of the United Nations
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Semple, G.P., Rouse, D.B., McLain, K.R. (1995). C. destructor, C. tenuimanus, C. quadricarinatus (Decapoda: Parastacidae): a comparative review of biological traits relating to aquaculture potential. Freshwater Crayfish, 8:495-503
Sites Internet :
Règlementation