Premières observations de la limace Leidyula sloanii en Martinique

Origine de l’espèce

Introduite sur plusieurs îles de la Caraïbe et sur le continent nord-américain, cette limace serait, d’après la bibliographie, originaire de la Jamaïque. Désormais présente en Floride, en République Dominicaine, à la Barbade, à la Dominique, à Saint-Vincent, à Sainte-Lucie aux Bermudes, à Cuba, sur l’île de Grand Cayman (Robinson et al, 2009) et probablement sur d’autres îles des Grandes et Petites Antilles, elle a été détectée pour la première fois en Guadeloupe en 2004, constituant son premier signalement pour la France. La présence de cette espèce en dehors de son aire d’origine attire de plus en plus l’attention, en particulier en Floride où des impacts significatifs sur les cultures ont conduit à la considérer comme un important ravageur. Probablement déplacée à cause d’échanges de végétaux entre des îles voisines, Leidyula sloanii (Cuvier, 1816) (synonyme : Veronicella sloanii) est désormais l’une des limaces les plus abondantes à la Dominique (Robinson et al, 2009).

Première détection en Martinique

En réponse à un signalement par un habitant de la présence d’une limace particulièrement vorace et de grande taille (plus de 10 cm), des spécimens de cette espèce ont été collectés par Fabienne Blanchon (DAAF/SALIM Martinique) et Régis Delannoye (expert en malacologie) le 4 juillet 2022 dans le quartier Zobeïde de la commune du Morne-Rouge. FREDON Martinique s’est ainsi saisi du sujet et a transmis des spécimens pour identification au MNHN, au Laboratoire national de la Santé des végétaux (ANSES) ainsi qu’à David Robinson (USDA APHIS National Malacologist). Ce dernier a confirmé l’identification de l’espèce le 25 juillet 2022.

En parallèle, les retours des observations de R. Delannoye et une prospection de la FREDON organisée le 12 juillet, ont permis de présenter une première carte de répartition de l’espèce (Fig 1).

1- Carte de répartition de Leidyula sloanii à partir des prospections effectuée le 12/07 et des premières observations. Point rouge = présence confirmée, Point vert = absence de L. sloanii

D’après les témoignages d’agriculteurs du Morne-Rouge, il semblerait que cette limace soit présente depuis quelques années dans les exploitations agricoles sans qu’elle ne suscite d’alerte de la part de ces professionnels.

Depuis début 2022, de fortes augmentations d’observations de l’espèce, accompagnées de nuisances dans les jardins et les maisons des particuliers sont à l’origine du signalement. L’espèce a également été détectée sur la commune de Sainte-Marie, constituant désormais un foyer supplémentaire. Sa présence à Sainte-Marie s’explique probablement par un transport involontaire par une personne possédant des maisons sur les deux communes. Des spécimens similaires ont également été observés à Fort-de-France par un autre scientifique (Eddy Dumbardon-Martial) et à Saint-Joseph. Ainsi, L. sloanii pourrait être actuellement présente sur quatre communes.

La vigilance vis-à-vis de l’introduction de cette espèce en Martinique est ancienne puisqu’une première alerte avait été diffusée en 2005 dans l’édition Antilles du Journal d’information de la direction de l’agriculture et de la forêt – Service de la protection des végétaux. Il y a plus de 15 ans déjà, du fait des impacts observés en Floride et suite aux premières détections en Guadeloupe, l’arrivée possible de cette espèce en Martinique inquiétait, c’est pourquoi un appel à la vigilance avait ainsi été lancé.

2- Edition des Antilles du Journal d’information de la direction de l’agriculture et de la forêt – Service de la protection des végétaux

Description de l’espèce

L. sloanii peut atteindre 12 cm de longueur et constitue la plus grande limace observée dans les Caraïbes. Au stade adulte, la couleur de son manteau varie d’un individu à l’autre, allant du beige pâle au marron en passant par des teintes de gris (Robinson et al, 2009, Stange, 2006). Cet aspect clair tacheté lui a valu le nom plus commun de « Limace à crêpe » (Pancake slug) attribué par les amateurs de Nouveaux Animaux de Compagnie (NAC). Des taches noires (ou mouchetures) sur la face dorsale fusionnent jusqu’à former deux lignes noires longitudinales. Chez les juvéniles ces deux lignes sont bien définies puis s’atténuent avec la maturité de l’individu (Stange, 2006). Hormis les variations de coloration, tous les individus de cette espèce ont en commun la présence autour des yeux de tentacules oculaires gris aux extrémités marron. Ce caractère constitue le seul critère commun observable entre toutes les populations présentes dans les Caraïbes. En plus de ces quelques critères de détermination, l’identification de cette limace au rang de l’espèce nécessite la dissection des organes génitaux.

3- L. sloanii adulte © D. Robinson

4 – L. sloanii juvénile © R. Picard

Cette limace est hermaphrodite simultanée, c’est-à-dire qu’un individu présente à la fois des organes génitaux mâle et femelle. L’introduction d’un seul œuf hors de son aire d’origine pourrait donc permettre la propagation de l’espèce. Elle peut pondre 30 œufs de 5 mm de diamètre par ponte et le temps d’éclosion en captivité est de 15 jours à une température de 24°C.

5- Ponte de L. sloanii © R. Picard

6- L. sloanii à proximité d’habitation © R. Picard

Terrienne à respiration aérienne, L. sloanii est nocturne, adaptée aux milieux humides. Elle se réfugie le plus souvent sous des branches ou des objets lorsqu’elle est à proximité d’habitations, ce qui est souvent le cas, affectionnant régulièrement les abords des maisons (évacuation d’eau, vieilles briques, planches, débris végétaux…) et sortant la nuit en montant sur les murs.

Beaucoup plus polyphage que les mollusques indigènes de Martinique, elle se nourrit généralement à proximité immédiate de son refuge diurne.

Impacts

Impacts économiques sur les cultures

C’est en Floride que les impacts sur les espèces cultivées et ornementales sont les plus importants. Les experts locaux la considèrent comme l’une des limaces les plus nuisibles au monde pour les cultures, se nourrissant de plusieurs espèces végétales d’intérêt économique important, comme les haricots, les arachides et autres légumineuses. Une consommation de toutes sortes de bananes, de pois, d’aubergines, les brassicacées (brocolis, choux et chou-fleur), les carottes, les piments, les patates douces, mais aussi de fruits, notamment les agrumes, est connue sur plusieurs territoires d’introduction. A la Barbade, L. sloanii est aussi un important ravageur des jardins et pépinières où elle endommage les écorces de certaines plantes ornementales (Field & Robinson, 2004 ; Clark and Field, 2005 ; Stange 2006).

En Martinique, les agriculteurs du Morne-Rouge ont déjà signalé des dommages sur les cultures, en revanche, aucun témoignage équivalent n’a été jusqu’à présent enregistré en Guadeloupe.

Impacts sanitaires

Suite aux introductions des deux grandes achatines « l’Escargot géant d’Afrique » (Lissachatina fulica) en 1980 et de « l’Achatine rose » (Archachatina marginata) en 1987, de leur expansion sur l’ensemble de l’île, et des risques liés à la possibilité pour elles d’être porteuses et vectrices de deux types d’angiostrongyloses : (à « Angiostrongylus cantonensis » et « Angiostrongylus costaricensis »), la question se pose également pour L. sloanii, potentiellement vectrice de ces maladies parasitaires transmises par des nématodes provoquant des méningites (pouvant être mortelles).

Statut réglementaire

L. sloanii figure sur l’arrêté ministériel du 7 juillet 2020 relatif à la régulation de l’introduction et de la propagation des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire de la Martinique – Interdiction de toutes activités portant sur des spécimens vivants.

Actions à prévoir

Suite à ces premières observations, des prospections supplémentaires permettraient de préciser la répartition de l’espèce sur l’île pour faciliter la mise en place d’actions destinées à freiner sa dispersion, notamment via le transport de terres et de matériaux.

L’administration fédérale américaine a formalisé des recommandations sur des outils mobilisables pour gérer l’introduction de gastéropodes terrestres tropicaux sur un territoire, reprises par la FAO : https://www.ippc.int/es/core-activities/capacity-development/guides-and-training-materials/contributed-resource-detail/new-pest-response-guideline-tropical-terrestrial-gastropods/

Compte-tenu des impacts potentiels et parfois déjà constatés sur certaines productions agricoles, informer le grand public de la présence de cette espèce sur le territoire permettrait de mieux l’identifier et la signaler en cas de nouvelle observation et, simultanément, de veiller à ne pas la transporter accidentellement.

Techniques de gestion sur d’autres îles

Sur certaines îles où L. sloanii a été introduite, des techniques utilisant du sel de table ou de la poussière de tabac, ainsi que des poudres molluscicides, ont déjà pu être utilisées pour contrôler ses populations (Field & Robinson, 2004).

Signalez l’espèce

Ressources bibliographiques

  • Clarke, N. and H. A. Fields. 2005. A preliminary study of the biology of Veronicella sloanii (Cuvier 1817) in Barbados [Abstract]. 38th Annual Western Society of Malacologists, 71st Annual American Malacological Society, Pacific Grove, CA.
  • Delannoye, R et al., 2015. Mollusques continentaux de la Martinique ». Biotope Editions.
  • Fields, A. and D. G. Robinson. 2004. The slug Veronicella sloanii (Cuvier, 1817)—an important pest in the Caribbean [Abstract]. American Malacological Society, Sanibel.
  • Robinson, D. G., Hovestadt, A., Fields, A., &Breure, A. S. H., 2009. The land Mollusca of Dominica (Lesser Antilles), with notes on some enigmatic or rare species. ZoologischeMededelingen, 83, 615. (lien)
  • Stange, L. A. 2006. Pest alert:snails and slugs of regulatorysignificance to Florida. Florida department of Agriculture andConsumer Services, Division of plant industry. (lien)
  • Snails, G. A., 2005. New Pest Response Guidelines. (lien)

Rédaction et contributions : Clara Singh (Comité français de l’ UICN), Rémi Picard (FREDON Martinique), Régis Delannoye (expert en malacologie et membre du CSRPN), Alain Dutartre (Expert indépendant), Madeleine Freudenreich et Yohann Soubeyran (Comité français de l’UICN).

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