A la rencontre de Louis Maigné : conservateur de la réserve naturelle nationale de l’îlot de Mbouzi

Louis Maigné a rejoint le Réseau EEE outre-mer cette année et a accepté de répondre à nos questions afin de partager son expérience sur la problématique des invasions biologiques sur l’îlot de Mbouzi.

1) Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Quel est votre parcours et comment avez-vous été amené à travailler sur les EEE à Mayotte ?

Je me présente donc, Louis Maigné, ingénieur écologue de 24 ans installé depuis deux ans à Mayotte. Originaire des bords de Loire morvandiaux, j’ai effectué un Master en écologie tropicale à la Réunion. J’ai très rapidement atterri à Mayotte suite à mes études pour un volontariat en parallèle duquel j’aidais l’équipe de la RNN de l’îlot Mbouzi sur des protocoles d’étude en bioacoustique. Un an plus tard, j’ai intégré cette même équipe en tant que conservateur et les champs d’actions sur lesquels j’interviens aujourd’hui sont très diversifiés. Néanmoins, la part de temps que je consacre aux EEE, tout comme le reste de l’équipe, est conséquente et à la hauteur de l’enjeux représenté.

2) Quelles sont les espèces exotiques envahissantes végétales les plus problématiques sur l’îlot de Mbouzi ?

Les deux EEE végétales pour lesquels les plus gros moyens sont déployés sont la Corbeille d’or (Lantana camara), recouvrant entre 10% et 30% de la surface terrestre de la RNN, et le Faux Mimosa (Leucaena leucocephala) qui forme des fourrées très denses et dont la capacité de rejet est phénoménale. D’autres espèces posent problème comme la Liane corail (Antigonon leptopus), la Langue de belle-mère (Sanseveria metallica) ou encore le Choca vert (Furcraea foetida) pour ne citer qu’elles.

Gestion de L. camara                  © Apprentis d’Auteuil Mayotte

Parcelle colonisée par L. leucocephala ©  E. Sarat

3) Quelles sont les principales actions mises en œuvre pour contrer ce phénomène ? Rencontrez-vous des difficultés particulières ?

Face à L. camara, c’est l’arrachage manuel puis la disposition des individus en andain au soleil qui fonctionne le mieux. Ainsi, nous pouvons rapidement traiter de grandes surfaces et libérer de nombreux plants indigènes étouffés par ces formations denses. Une des caractéristiques de cette EEE, qui complique son contrôle, est sa capacité à produire, au moins deux fois par an, de très nombreux fruits, saturant la banque de graines du sol. Nous planifions ces arrachages en fin de saison sèche (de juin à octobre) lorsque les individus sont faibles et le sol friable. La topographie de l’îlot rend cette lutte périlleuse voire impossible dans certains secteurs où l’espèce s’est implantée à flanc de falaises et sur des pentes abruptes.

4) Depuis que vous travaillez sur cet îlot, avez-vous déjà détecté précocement une nouvelle espèce exotique au sein de la réserve ?

Nous avons récemment détecté la présence d’une station de F. foetida. Non pas que cette espèce n’ait jamais été recensée sur l’îlot Mbouzi, mais un chantier de lutte a été mis en œuvre en 2009 afin d’éradiquer cette population de seulement quelques dizaines d’individus. Aujourd’hui, plusieurs centaines de jeunes F. foetida sont comptabilisés. Nous avons appris deux choses de cette expérience : la méthode précédemment utilisée ne permet pas une éradication mais un contrôle et nous devons désormais identifier comment assurer son élimination dans  la réserve.

Ancienne station de Choka vert (F. foetida) © Gildas LeMinter

Reprise de Choka vert (F. foetida)          © L. Maigné

5) Des espèces exotiques animales sont également présentes sur l’îlot, pouvez-vous nous dire quelques mots sur les actions en cours ciblant le Rat noir, ainsi que sur la situation liée aux lémuriens introduits depuis Madagascar ?

Le projet RECIM mené par Paul Defillion consiste en la Restauration écologique de l’îlot Mbouzi via l’éradication du Rat noir (Rattus rattus). Ce projet, déclinaison mahoraise du projet RECI des Terres Australes et Antarctiques Française, se divise en trois grands axes : la faisabilité technique de l’opération et sa mise en oeuvre ; le monitoring de la biodiversité pré- et post-opération ; la mise en place d’un protocole de biosécurité empêchant la recolonisation de l’îlot Mbouzi par les rats. Il existe de nombreux exemples de succès de dératisation dans les îles du monde et le contexte de Mbouzi pourrait permettre techniquement la réussite de l’opération. Néanmoins, dans les milieux insulaires, c’est à l’aide d’un épandage de biocide que ces objectifs sont atteints. Lors des études sur les Espèces non cibles (ENC), c’est à dire les autres espèces susceptibles d’être impactées par le biocide directement ou indirectement, nous avons observé que les lémuriens se nourrissaient des appâts sans biocide placés devant nos pièges photographiques. Cette population, bien qu’introduite par l’Homme dans la RNN entre 1997 et 2003, est désormais emblématique de Mayotte et plus précisément de l’îlot. En aucun cas nous pouvons nous permettre de leur porter atteinte, sous peine d’un échec de l’opération au moins du point de vue de l’acceptabilité du projet par le public. Les recherches se tournent désormais vers un appât qui serait non attractif pour les 170 makis de Mbouzi, le retrait de la population de l’îlot pendant la durée de l’opération (deux mois) étant techniquement et financièrement irréalisable.

Paul Defillon, également membre du Réseau EEE outre-mer © RNN îlot Mbouzi

Maki © L. Maigné

6) L’îlot est-il fréquenté par le public ? Auquel cas, constitue-t-il l’opportunité de sensibiliser la population aux invasions biologiques ?

Mbouzi est une destination prisée à Mayotte. Nous tâchons lors de chaque animation sur le terrain de présenter les dégâts que causent les EEE en milieu tropical insulaire et témoignons de l’importance d’être vigilants dans nos décisions risquant d’amplifier ce phénomène. De nombreuses associations locales nous prêtent main forte lors de journées dédiées à l’arrachage. Ces chantiers constituent des moments de sensibilisation des bénévoles aux enjeux inhérents aux EEE.

Nous travaillons actuellement sur l’aménagement d’un sentier pédagogique sur l’îlot. De nombreux taxons seront présentés tout le long du parcours et un panneau dédié aux EEE sera implanté sur une zone occupée par L . camara. Grâce à ces supports, chaque visiteur bénéficiera d’une explication claire de ce qu’est une EEE et des différentes étapes du processus d’invasion. Ils pourront reconnaître les principales EEE présentes sur l’îlot et plus largement à Mayotte et prendre connaissance des moyens mobilisés pour les gérer au sein de la RNN.

7) Sur quels autres champs d’action êtes-vous mobilisé en tant que conservateur de cette réserve ?

Mayotte à la chance d’avoir sur son territoire des associations investies pour la protection de l’environnement. Le statut de Réserve Naturelle Nationale fait de l’îlot Mbouzi un terrain privilégié aux yeux de la recherche, de la région, des universités ou encore des activités écotouristiques. Je coordonne les activités de la RNN, dont la gestion des EEE pour laquelle notre équipe est très mobilisée. Nous répondons à des des appels à projets et des manifestations d’intérêt, et nous organisons des actions de sensibilisation du public sur des problématiques à forts enjeux sur le territoire (impact des déchets, de la destruction de l’habitat ou juste la méconnaissance de la biodiversité mahoraise). Avec les gardes de la réserve, nous réalisons également des de suivis scientifiques et il arrive que nous encadrions des étudiants qui nous rejoignent pour leur de stage de fin d’études.

8) Avez-vous déjà eu à travailler par le passé sur la problématique des EEE dans d’autres territoires ?

C’est sur l’île de La Réunion que j’ai été pour la première fois impliqué dans la lutte contre les EEE. Ma première expérience était très formatrice : nous avons, avec mes amis et camarades de promotion de Master, monté un chantier de lutte contre le Goyavier fraise (Psidium cattleyanum) sur une parcelle de forêt sèche de moyenne altitude regorgeant d’espèces indigènes et endémiques malheureusement gravement envahies. C’est donc dans le cadre d’un partenariat entre l’Université de la Réunion, l’association Grand’Air et un propriétaire privé que nous avons mobilisé des bénévoles sur une dizaine de jours afin d’intervenir sur des populations de goyaviers présentes sur environ 2000 m² de forêt.

Dans une approche très différente, j’ai effectué mon stage de fin d’étude sur le Moustique tigre (Aedes albopictus), entre autres responsable de l’épidémie de chikungunya qui a frappé la Réunion entre 2003 et 2005 et des épidémies de dengues toujours en cours. J’ai pu participer à la recherche fondamentale sur la Technique de l’Insecte Stérile (TIS) menée par l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD).

J’ai été très séduit par les chantiers de lutte contre les EEE végétales tant il est satisfaisant de voir un milieu naturel enfin respirer après l’opération. Ce sont des moments de partage entre bénévoles très puissants, où nous travaillons tous pour la même cause et où l’ambiance sur un chantier donne du baume au cœur.

 

Lutte contre L. camara lors d’une formation EEE outre-mer © E. Sarat

Lutte contre L. camara lors d’un chantier bénévoles © Apprentis d’Auteuil Mayotte

Photo du haut de page : portrait de Louis Maigné © Nicolas Gommichon

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