La gestion des PEE dans les ACI à La Réunion : un dispositif aux stratégies d’intervention adaptées à chaque contexte : Zoom sur les dernières études et bilans réalisés
Contexte et présentation des Aires de contrôle intensif (ACI) |
Les invasions biologiques constituent l’une des plus fortes pressions qui s’exercent sur la biodiversité de La Réunion, du fait du nombre important d’espèces exotiques déjà présentes sur l’île et de leurs niveaux d’envahissement. Elles modifient parfois considérablement les milieux naturels, qui pour certains, encore très préservés, abritent de nombreuses espèces de faune et de flore menacées, rares et endémiques.
Depuis une vingtaine d’années, l’ensemble des acteurs de La Réunion se mobilisent pour contrer ce phénomène. L’ONF notamment, depuis les années 2000, gère les espèces exotiques envahissantes (EEE) végétales au sein de son domaine forestier. Dans un objectif de renforcement de sa démarche de gestion, il a déployé en 2015 une stratégie spatiale d’intervention en créant le dispositif des Aires de contrôle intensif (ACI), qui couvre une diversité de milieux représentative de l’ensemble des écosystèmes de l’île. Les ACI correspondent à des zones prioritaires d’intervention, très préservées, aux enjeux écologiques forts et relativement accessibles. Les sites sélectionnés se caractérisent par des niveaux d’invasion globalement faibles afin de se saisir précocement de ces enjeux pour une plus forte probabilité de réussite des opérations de gestion. Depuis leur création, les ACI sont le lieu privilégié de chantiers de gestion d’EEE et de travaux de restauration écologique des milieux naturels.
En 2019, un travail multi partenarial de cartographie des zones prioritaires pour la gestion des plantes exotiques envahissantes porté notamment par le Parc national de La Réunion, le CIRAD et le Département, fut l’opportunité de confirmer la pertinence et la valeur de ce réseau d’ACI et de le compléter avec de nouveaux secteurs. En 2022, ce réseau comptait 33 ACI représentant près de 9 000 hectares (sur 100 000 ha de forêts publiques gérées par l’ONF à La Réunion ; Figure 1), concernés par la présence de plusieurs EEE végétales.
Des stratégies d’intervention sont développées suivant les contextes propres à chaque ACI (espèces présentes, milieux naturels concernés, niveaux d’envahissement, accessibilité, acteurs mobilisés et usagers concernés). En parallèle des interventions annuelles, plusieurs études ont été menées en 2021 et 2022 pour évaluer l’efficacité des opérations menées dans certaines ACI, planifier et ajuster les futures opérations et réorienter certains objectifs. Quatre études ont été réalisées ces deux dernières années et sont résumées ci-après.
Cartographie des niveaux d’invasion après plusieurs années de lutte pour l’élaboration d’un plan d’action dans les ACI de Piton d’Anchaing et de Petit Rein |
Depuis les années 2000, les ACI de Piton d’Anchaing et de Petit Rein font toutes deux l’objet d’interventions régulières ciblant différentes espèces exotiques telles que le Goyavier (Psidium cattleyanum), le Troëne de Ceylan (Ligustrum robustum), la Jouvence (Ageratina riparia), etc. Pour chaque ACI, les études mises en œuvre consistaient à effectuer un bilan des opérations de gestion menées en réalisant pour chacune d’elle une cartographie des niveaux d’invasion, afin de fournir un outil d’aide à la décision pour prioriser les prochaines opérations et élargir progressivement le périmètre d’intervention.
La technique mise en œuvre pour cartographier la végétation est relativement similaire dans les deux ACI. Elle consiste à parcourir des transects (dont la largeur était adaptée suivant la configuration de l’ACI), délimités par des layons. Deux personnes avancent en parallèle en circulant sur la largeur du transect d’une extrémité à l’autre. Durant l’avancée, chaque changement de niveau d’invasion observé dans la végétation est relevé au GPS. Le transect, constituant l’unité de mesure de cette étude, est ensuite conservé comme périmètre d’intervention lors de la mise en œuvre du plan d’action qui en découle.
1) ACI de Piton d’Anchaing
Contexte
ACI Piton d’Anchaing
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Déroulement et résultats de l’étude
Le travail de prospection dans l’ACI pour cartographier la végétation a été organisé de la manière la plus simple et rapide possible, en raison de la difficulté d’accès au site et de l’impossibilité d’y revenir régulièrement. La méthode présentée ci-dessus a été appliquée afin de discriminer sur le terrain les zones les moins envahies par le Goyavier, EEE dominante dans l’ACI. Le niveau d’invasion du Goyavier a été décrit dans cette ACI selon cinq classes qui caractérisent la quantité de biomasse présente dans toutes les strates de végétation (Tab. 1). Préalablement à la phase de terrain, les transects ont été dessinés avec le Logiciel Arcgis en se référant aux périmètres d’intervention ayant déjà fait l’objet de lutte, de largeur variant entre 25 et 60 m.
Tableau 1 : Critères et description des 5 niveaux d’invasion du Goyavier dans l’ACI de Piton d’Anchaing
Au total, 9 transects ont été prospectés dans cette ACI, représentant une superficie de 6,8 ha. 53 % de la surface inventoriée restent dans un bon état de conservation avec un faible niveau d’invasion, correspondant aux secteurs gérés depuis 2019 situés entre PA2 et PA5 (Fig. 4). Seuls des jeunes plants de Goyavier ou des rejets issus des précédents chantiers y ont été observés. Les secteurs préservés incluent également une zone n’ayant jamais fait l’objet d’intervention, située entre PA1 et PA2. Cette zone est constituée d’une structure forestière indigène, néanmoins envahie ponctuellement par le Raisin marron (Rubus alceifolius) au niveau de chablis forestiers. Enfin, le Goyavier forme des fourrées monospécifiques impénétrables sur la partie sud de l’ACI où le Raisin marron et la Jouvence (Ageratina riparia) colonisent les quelques espaces restants.
Ces prospections, ayant nécessité 9 jours/agent, un héliportage et l’organisation d’un bivouac, confirment la pertinence des opérations dans les espaces où le niveau d’invasion reste faible (PA1 et PA2). En effet, les résultats ont montré que le périmètre d’opération situé dans la partie sud de l’ACI, initialement très envahi par le Troëne de Ceylan (Ligustrum robustum) en 2018, subit aujourd’hui des cascades d’invasion des suites de l’ouverture trop intense du milieu. Les actions seront donc poursuivies sur les secteurs faiblement envahis et cibleront le Goyavier et le Raisin marron (PA1 à PA5). La Jouvence sera également gérée dans le périmètre d’opération initié en 2018 dans la partie sud de l’ACI, uniquement autour des plants indigènes afin d’accompagner la reprise du couvert forestier. Par ailleurs, lors de ces prospections, des espèces exotiques auparavant absentes dans l’ACI, mais identifiées ailleurs sur l’île et connues comme étant très envahissantes y ont été détectées. Une réaction rapide d’élimination ciblera donc le Longose jaune (Hedychium gardnerianum) ainsi que le Colle-colle (Desmondium tortuosum) puis une surveillance sera maintenue.
1) ACI de Petit rein
Contexte
ACI Petit rein
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Déroulement et résultats de l’étude
Au même titre que pour celle de Piton d’Anchaing, les difficultés d’accès à cette ACI ont également conduit à concevoir une méthode de prospection simple et rapide visant à identifier et délimiter les espaces les moins envahis. Une attention particulière a été portée aux plantations d’espèces rares et au sous-bois dont l’envahissement peut limiter la régénération du couvert.
Ainsi, le niveau d’invasion a été étudié dans deux strates : la strate herbacée et la strate supérieure, dite « arbustive/arborée ». Pour chaque strate, le niveau d’invasion a été défini selon quatre classes suivant la quantité de biomasse d’EEE observée, cette fois-ci toutes espèces exotiques confondues : Nul : 0 espèce exotique ; Faible : EEE < 20 % de la biomasse ; Moyen : 20 % < EEE < 50 % de la biomasse ; Fort : EEE > 50% de la biomasse.
Au total, 14 transects de 10 à 50 m de largeur ont été prospectés sur une superficie accessible mesurant au total 1,59 ha. Près d’un tiers de la strate arbustive/arborée montre un faible niveau d’invasion, correspondant au secteur faisant l’objet de chantiers de gestion du Goyavier depuis 2018 (Figure 7). Cette espèce reste tout de même très présente à l’état de plantule, témoignant du fort envahissement initial de la zone. 44% de la strate herbacée sont peu envahis et correspondent à des espaces n’ayant pour la plupart jamais fait l’objet d’intervention (Figure 8). Cela peut s’expliquer par la dominance du Goyavier dans la strate arbustive/arborée dans ces zones, ce qui limiterait l’installation d’espèces en sous-bois, à la fois indigènes et exotiques. En revanche, la Jouvence colonise le sous-bois des secteurs ayant bénéficié d’actions de lutte. Une nouvelle fois, ces résultats confirment la nécessité de gérer les espèces exotiques dans les milieux les moins envahis avec parcimonie et patience, afin de limiter l’ouverture trop intense du milieu et l’établissement d’espèces héliophiles invasives au détriment des espèces indigènes.
En fonction de la répartition du niveau d’invasion dans les deux strates de végétation étudiées et des emplacements des plantations d’espèces rares, une priorisation spatiale des opérations a été mise en œuvre (Figure 9). Ainsi 50 % de la superficie de l’ACI ont été identifiés comme prioritaires pour les actions de lutte. Des opérations ciblant le Goyavier seront mises en œuvre dans les secteurs prioritaires et la Jouvence sera détourée autour des plantations d’espèces indigènes afin de favoriser la croissance de ces plantules et la fermeture du couvert forestier, limitant à terme la ré-invasion du milieu. L’élimination d’espèces exotiques auparavant absentes et détectées pendant cette étude (Hiptage benghalensis, Hedychium coccineum, Hedychium gardnerianum, Furceaea foetida et Rubus alceilfolius) sera également intégrée au plan d’action.
Consultez les rapports complets des deux études :
- Etat d’invasion et stratégie de lutte dans l’ACI de Petit Rein (ONF, 2021)
- Etat d’invasion et stratégie de lutte dans l’ACI de Piton d’Anchaing (ONF, 2021)
Mission de terrain pluridisciplinaire pour le suivi et le bilan des interventions réalisées depuis 17 ans dans l’ACI presque inaccessible du Bras des Merles |
L’ACI du Bras des Merles est l’une des reliques les plus préservées de forêt semi-sèche de La Réunion, abritant de nombreuses espèces endémiques et menacées. Depuis 2005, elle fait l’objet d’interventions répétitives de gestion de plantes exotiques envahissantes et de plantations d’espèces indigènes.
L’objectif de cette mission réalisée en 2021 était d’évaluer l’efficacité de la gestion mise en œuvre, de définir un protocole de suivi rapide tenant compte de l’inaccessibilité à pied au site et d’identifier les possibilités d’élargissement du périmètre d’intervention. Cette mission a également constitué l’opportunité d’effectuer un inventaire des espèces rares et menacées et d’alimenter les réflexions quant au plan d’aménagement forestier de Mafate.
Contexte
ACI du Bras des Merles
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Déroulement et résultats de la mission
En raison des difficultés d’accès au site, la mission a été organisée sur une journée. Une équipe de 6 personnes regroupant des experts complémentaires a été constituée et transportée en hélicoptère jusqu’à l’ACI tôt le matin et récupérée le soir même.
Une équipe était chargée de prospecter les lieux ayant fait l’objet d’actions en continu. Guidés par les techniciens et le conducteur de travaux, les opérateurs ont relevé le périmètre des interventions au GPS pour cartographier précisément les chantiers de gestion. Cette cartographie révèle une superficie totale gérée de presque 4 ha et les opérateurs sont donc intervenus en 2021 sur 2 ha supplémentaires vis-à-vis de 2020. Ainsi, la moitié de la superficie de l’ACI fait désormais l’objet de mesures de gestion d’EEE. Cette mission a permis l’identification de trois nouvelles zones représentant une superficie d’1 ha, pouvant être le lieu de nouveaux chantiers. Une autre journée de mission est cependant nécessaire pour identifier d’autres secteurs adjacents, afin de tenir compte des difficultés d’accès et des risques en termes de sécurité pour les opérateurs (ravines et vires rocheuses).
Bien que le niveau d’invasion soit globalement faible dans cette ACI, la prospection le long de transects, comme réalisée dans les ACI de Petit Rein et de Piton d’Anchaing, ne pouvait être appliquée sur ce site dans la même journée. Une rapide estimation visuelle des niveaux d’invasion de la strate arborée et du sous-bois a donc été faite de sorte à vérifier qu’aucun secteur n’a été oublié lors des chantiers. Cette mission a ainsi permis de confirmer le faible niveau d’invasion, qui est même parfois nul dans certains secteurs en raison des actions répétées depuis 2005. Ces dernières observations témoignent de l’efficacité d’opérations répétitives en milieux peu envahis, ciblant des individus épars.
Les 2 ha supplémentaires traités en 2021 présentent un nombre plus important d’individus d’espèces exotiques en raison probablement de la mise en place plus récente des interventions. Toutefois, certaines espèces subsistent uniquement à l’état de rejet, de souche, ou par germination de nouveaux plants. Au total, une vingtaine d’EEE, majoritairement ligneuses, ont été recensées dans l’ACI, notamment l’Avocat marron (Litsea glutinosa), le Faux poivrier blanc (Searsia longipes), la Liane Papillon (Hiptage benghalensis), le Bois caraïbe (Tecoma stans), ou encore le Choca vert (Fucraea foetida). Ce dernier reste encore rare du fait des actions de lutte. Les EEE observées lors de cette étude ont été coupées, arrachées ou annelées. Néanmoins, une grande partie de l’ACI reste préservée et occupée en sous-bois par de nombreuses fougères et orchidées indigènes encourageant le maintien des interventions.
Afin d’améliorer les connaissances sur les enjeux de conservation de ce site encore peu prospecté par des botanistes, une équipe était chargée d’identifier toutes les espèces végétales observées pendant la journée. Les individus d’espèces menacées selon la liste rouge nationale de l’UICN ont été géoréférencés, bagués et numérotés par le Conservatoire Botanique National du Mascarin (CBNM) pour permettre le suivi de chaque plant. Les données relevées ont toutes été transmises au Système d’Information de l’Inventaire du Patrimoine Naturel (SINP) régional piloté par la DEAL. Au total, 114 espèces de plantes vasculaires ont été recensées sur les secteurs traités dont 95 espèces indigènes, comptabilisant 22 espèces menacées et 19 espèces protégées par arrêté ministériel. 45 % des espèces identifiées sont endémiques des Mascareignes, dont 19 % d’endémiques strictes de l’île, soulignant le fort enjeu de conservation de ce site. De nouvelles stations d’espèces endémiques très rares (Dombeya populnea et Zanthoxylum heterophyllum) ont été localisées, notamment dans les zones nouvellement traitées en 2021.
D’autre part, 43 individus de trois espèces rares (Croton mauritanus, Dombeya populnea et Sideroxylon majus) avaient été plantés, géoréférencés et étiquetés en 2014 et 2015 dans le cadre du projet RHUM (Restauration d’habitats uniques au monde). Un suivi 6 ans plus tard était prévu et a été réalisé lors de cette mission. La hauteur, le diamètre, l’état sanitaire, le stade de maturité sexuelle et la phénologie des plants ont été relevés. Le taux de survie global des espèces plantées s’est avéré décevant, atteignant 28 %, en raison de la plantation d’individus trop jeunes et du couvert trop dense des secteurs concernés. Ces espèces étant héliophiles, des secteurs plus ouverts auraient peut-être permis l’obtention de résultats plus encourageants. Une analyse plus complète sera réalisée par le CBNM.
Cette étude a permis d’orienter les décisions quant aux actions à planifier en 2023, notamment la poursuite des opérations de lutte sur les 4 ha faisant déjà l’objet d’interventions, et si possible leur extension sur 1 ha supplémentaire. Toutes les EEE pourront être ciblées par les opérations en privilégiant l’écorçage pour les individus de gros diamètre, ceci permettant de limiter les rejets et favorisant la mort lente des individus sans grande et rapide ouverture de la canopée.
Consultez le rapport complet de l’étude :
Retour sur 10 ans de mobilisation des cultivateurs de vanille dans la gestion des plantes exotiques envahissantes pour le maintien de leur activité en milieu forestier de basse altitude |
Les deux Réserves Biologiques dirigées (RBd) « Bois de couleurs des bas » et « Littoral de Saint-Philippe » ont intégré le réseau des ACI en 2015 (Figure 16). Situées sur les pentes du Piton de La Fournaise, des reliques de forêts tropicales humides naturelles restent conservées bien que fragmentées et de tailles réduites. En périphéries de ces reliques, des zones défrichées ont été plantées en 1960 par l’ONF dans un objectif de production de bois d’œuvre qui a finalement été abandonné, permettant la recolonisation de ces espaces par des espèces indigènes qui constituent désormais des corridors écologiques intégrés aux RBD. Néanmoins, ces plantations ont été réalisées sur des laves affleurantes sur lesquelles la croissance des espèces indigènes est lente, au profit d’espèces exotiques.
En 2011, ces parcelles plus ou moins envahies ont fait l’objet d’un accord entre l’ONF et des cultivateurs de vanille traditionnelle (Vanilla planifolia), autorisant ainsi ces derniers à les utiliser pour maintenir leur activité face à un déficit de disponibilité de terres agricoles, tout en les engageant dans la lutte contre les espèces exotiques qui envahissent ces parcelles. L’objectif de cette démarche était ainsi de tester un système socio-économique gagnant-gagnant pour maintenir des interventions de gestion d’EEE dans ces espaces adjacents à des milieux naturels préservés et pour lesquels aucun moyen financier ne pouvait être alloué. Plusieurs conventions d’occupation du sol (COT) ont ainsi été signées et un bilan 10 ans plus tard de ce système a été réalisé dans le cadre de la labélisation Liste verte de l’UICN de ces RBD en 2021. L’objectif de ce bilan était d’inventorier l’ensemble des COT afin d’évaluer les niveaux d’invasion de chacune pour en déduire l’efficacité de leur entretien par les cultivateurs. Cette étude incluait également un inventaire des espèces indigènes et exotiques des parcelles cultivées et une analyse de certaines pratiques des cultivateurs ou des difficultés auxquels ils sont confrontés.
Contexte
Parcelles en culture de vanille dans la RBd Bois des couleurs et Littoral de Saint-Philippe
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Les cultivateurs avaient comme consignes d’effectuer une première opération de gestion des EEE pour installer la vanille sur leur parcelle puis d’intervenir en continu sur toutes les strates de la végétation tout en limitant les ouvertures du couvert forestier afin d’éviter l’utilisation des puits de lumière par des espèces exotiques de sous-bois (Figure 17). Un cahier des charges spécifique à l’entretien de ces parcelles cadrant la gestion des EEE et la préservation des espèces indigènes a été rédigé et guidait les cultivateurs.
Déroulement et résultats de l’étude
La phase de terrain de cette étude a été réalisée du 25 mai au 6 juin 2021, mobilisant deux personnes pour les inventaires, parfois accompagnés sur certains sites d’un technicien et d’un écologue. Un échantillonnage par points a été effectué pour inventorier méthodiquement les 17 COT. La distribution de points d’échantillonnage équidistants a été générée informatiquement à l’aide du logiciel Arcgis. Au total, 168 points espacés de 40 m les uns des autres au sein des COT ont été définis, soit entre 5 et 19 points par COT suivant la superficie des parcelles. 159 points ont fait l’objet d’un inventaire des espèces exotiques (13 points étaient inaccessibles du fait d’un envahissement trop important de Lantana camara). Au total, toutes COT confondues, 53 espèces exotiques dont 34 ligneuses ont été identifiées, et les parcelles abritaient en moyenne 15 espèces exotiques chacune (8 minimum et 18 maximum, illustré sur la Figure 18). Onze espèces exotiques en particulier ont été observées sur plus de 50 % des COT, quatre d’entre elles étant très représentées dans la strate arborée (Schinus terebinthifolia, Psidium cattleyanum, Syzygium jambos, Listea glutinosa) et deux étant très présentes dans la strate herbacée (Miconia crenata, Ardria crenata).
L’analyse du niveau d’envahissement a été réalisée dans les trois strates herbacée, arbustive et arborée via une estimation du recouvrement. Ont ainsi été estimés : le recouvrement total de la végétation ; le recouvrement des espèces exotiques (EE) (toutes EE confondues) / le recouvrement total de la végétation ; Le recouvrement de chaque EE. Les niveaux d’invasion se sont avérés très hétérogènes suivant les COT.
Un classement des COT en fonction de leur niveau d’envahissement a pu être effectué. 4 COT ont un recouvrement d’EE < 25 % dans toutes les strates et 3 sont envahies à plus de 25 % dans toutes les strates.
L’inventaire des espèces ligneuses (indigènes et exotiques) comptabilise au total 1256 spécimens identifiés représentant 45 espèces recensées dont 35 indigènes (dont 5 menacées et 4 protégées). 71 % des espèces inventoriées sont endémiques des Mascareignes et 38 % sont endémiques de La Réunion.
Les cultivateurs ont globalement utilisé des espèces indigènes comme tuteurs pour maintenir leur vanille bien que certaines espèces exotiques assurent parfois cette fonction comme le Schinus terebinthifolia, Litsea glutinosa ou encore Syzygium jambos. Les COT les moins envahies sont celles dont la canopée est la plus fermée. Elles sont aussi les plus cultivés, témoignant de l’intérêt de l’effort de la lutte régulière par les cultivateurs.
Les parcelles cultivées connaissent globalement un pression importante exercée par les espèces exotiques, cependant, après 10 ans de mise en œuvre de ce système, le couvert forestier est à nouveau dominé par des espèces indigènes, montrant l’effet positif d’une gestion progressive et continue de la strate arborée. Les résultats pour la strate arbustive sont plus mitigés notamment pour les COT dans lesquelles Psidium cattleyanum est utilisé comme tuteur (lorsqu’aucune autre espèce n’est présente pour assurer cette fonction). Les résultats sont positifs pour la strate herbacée qui doit cependant encore faire l’objet d’interventions à répétition. Lors des inventaires, le Rubus alceifolius n’était présent qu’au stade de plantule, témoignant des interventions des agriculteurs et de l’intérêt d’une gestion régulière de cette espèce.
Cependant, certaines COT restent plus envahies que d’autres et la contribution des agriculteurs ne suffit pas à elle seule à contrer ce phénomène. Ainsi, l’élimination progressive des EEE doit être poursuivie et appuyée par les équipes de l’ONF dans la strate arborée pour faciliter la régénération des espèces indigènes.
D’autres actions sont envisagées, notamment dans le but de diversifier les COT en espèces indigènes. En effet, l’ouverture du couvert dans des secteurs fermés et exempts d’espèces exotiques pourraient profiter à la régénération ou à la plantation d’espèces rares, souvent héliophiles. Auquel cas des interventions calibrées à ces contextes particuliers devront être aussi encadrées par des techniciens forestiers. De plus, le contrôle des EEE en sous-bois, en particulier de Psidium cattleyanum devra être maintenu afin de promouvoir la diversification du sous-bois, en faveur des fougères et autres espèces indigènes.
À la suite de ces premiers retours d’expériences encourageants témoignant de la faisabilité d’un tel dispositif socio-économique, les cultivateurs pourront poursuivre leur activité et d’autres bilans seront réalisés.
Consultez le rapport complet de l’étude :
Pour conclure |
Ces études ont permis de faire le bilan des interventions menées depuis plusieurs années dans le réseau d’Aires de Contrôle Intensif, permettant d’attester du fonctionnement de ce dispositif. Tous ces retours d’expériences témoignent de l’intérêt de prioriser spatialement la gestion dans des espaces peu ou moyennement envahis, dans lesquels des actions régulières et répétées, pendant parfois plus d’une décennie, montrent un retrait des espèces exotiques au profit des espèces indigènes, en particulier dans la strate arborée. La distinction des niveaux d’invasion en fonction des strates confirme la nécessité en milieu tropical forestier d’ajuster l’approche de l’intervention suivant l’étage de végétation ciblé. Ainsi, dans l’ensemble des ACI, la vigilance apportée à l’ouverture du couvert forestier par la gestion progressive des EEE de la canopée est un facteur déterminant de la réussite de ces travaux de restauration.
Ces bilans ont mis en exergue certaines espèces exotiques communes à l’ensemble des ACI, contribuant plus que d’autres à d’intenses phénomènes d’invasion. Le Goyavier par exemple, ayant un impact sur la dynamique des espèces indigènes comme exotiques, met à l’épreuve les opérateurs.
Véritable mosaïque d’expérimentations aux contextes variés, ce réseau d’ACI et les bilans qui en découlent ont permis d’alimenter les réflexions quant aux méthodes utilisées pour inventorier les espèces exotiques et estimer les niveaux d’invasion sur des pas de temps souvent courts, dans des espaces relativement vastes et parfois peu accessibles, constituant des défis incontournables à relever pour maintenir un effort de gestion dans ces milieux à forts enjeux de conservation.
Rédaction Léa Marie (ONF La Réunion) et Clara Singh (Comité français de l’UICN)