Expérimentations de gestion de la Salvinie géante pour la restauration de la mare de Pont-Café

CONTEXTE

Bien que leur valeur patrimoniale et écologique soit sous-estimée, plus de 1100 et 2500 mares ont respectivement été dénombrées en Martinique et en Guadeloupe. Cependant, ces milieux ne cessent de régresser depuis plus d’un siècle, subissant diverses pressions telles que l’urbanisation, l’assèchement et le comblement, les pollutions et l’expansion d’espèces exotiques envahissantes aussi bien animales que végétales.

Projet REMA et concertation

La restauration de cette mare s’inscrit dans le cadre du projet Restauration et Entretien des mares des Antilles (REMA) porté par le Pôle Relais des Zones Humides Tropicales (PRZHT) du Comité français de l’UICN. Ce projet REMA, financé par l’OFB et les Office de l’eau de Martinique et de Guadeloupe, vise à produire un « Guide de gestion et d’entretien des mares tropicales » en s’appuyant sur la littérature scientifique existante mais surtout sur 12 expérimentations in situ à travers les territoires de la Martinique, de la Guadeloupe et de Saint-Martin. L’objectif est de répondre aux questionnements des gestionnaires sur l’entretien, le suivi et la restauration des mares dans un contexte tropical. Pour ce faire, une équipe a été mise en place pour accompagner chacun des 12 projets de restauration et rédiger ce guide,  composée de Gaelle Vandersarren (PRZHT, coordinatrice financière du projet), Mélanie Herteman (N&D, écologue, experte zones humides sur le projet) et Matthieu Norden (Consultant environnement marin et littoral, chargé de coordination du projet REMA).

Dans ce contexte, 12 mares au total ont été sélectionnées par les membres du comité de pilotage du projet pour lancer les expérimentations et parmi elles, la mare de Pont-Café, située dans la commune de Sainte-Luce au sud de la Martinique. Cette mare urbaine, répond par de nombreux critères de sélection (type de mare, fonctionnalité, service rendu, dynamique de coordination locale), à une volonté de restauration mutualisée entre la commune de Sainte-Luce à travers son projet Waliwa et l’équipe REMA. Du fait du dynamisme et de l’expérience de la commune, les premiers travaux entrepris sur cette mare ont marqué le lancement du projet REMA .
Cette première expérimentation a ainsi bénéficié de l’appui de la brigade de l’environnement pour la mise en œuvre des interventions et la mise à disposition des outils, ainsi que de l’engagement de l’équipe du projet Waliwa et des associations bénévoles (Association Citoyenne Lucéenne (ACL), Association des Guides de Moyenne Montagne (AGMM), Roots the Sea et l’Association de Sainte-Luce des Usagers de la Mer (AsSUMer)).

La mare de Pont-Café

Cartographie du site d’intervention. Source Géoportail

Localisée sur la commune de Sainte-Luce en Martinique et d’une superficie de 258 m², c’est l’une des rares mares de l’île inscrite en zone naturelle (N) du Plan local d’urbanisme (PLU). Située près de la côte, un axe routier la sépare d’une forêt sèche littorale et son trop-plein permet la connectivité entre ces deux milieux. Elle forme par ailleurs un bassin de rétention de l’eau pluviale de la ZAC Pont-Café et remplit un service de filtration de l’eau (de par la présence de plantes hélophytes) en amont des déversements dans la forêt littorale. Colonisée par la Salvinie géante (Salvinia molesta), la mise en œuvre de travaux a inclus une réflexion quant à la gestion de cette espèce.

Quelques précisions sur la Salvinie géante (Salvinia molesta)

Salvinia molesta © D. Clamens

Originaire du sud-est du Brésil, la Salvinie géante est désormais présente dans la plupart des territoires d’outre-mer où elle a le plus souvent été introduite pour l’ornement. Elle est observée depuis les années 2000 en Martinique dans des bassins chez des particuliers, des mares et des étangs. Cette fougère aquatique flottante mesure jusqu’à 30 cm de long et 5 cm de large. Verticillée, deux frondes sont flottantes et la troisième est immergée, constituée de filaments porteurs de spores mâles et femelles stériles. La reproduction est exclusivement végétative par fragmentation. Adaptée aux milieux humides perturbés à faible courant voire stagnants, sa croissance est privilégiée en milieux ouverts. Elle réagit positivement à une température et une luminosité élevée et est capable de doubler sa biomasse en seulement 3-4 jours. Les tapis denses qu’elle forme, parfois de plus de 10 cm d’épaisseur, modifient fortement les conditions physico-chimiques du milieu, se traduisant par une diminution de la pénétration de la lumière et de l’oxygène à travers la colonne d’eau, les rendant défavorables aux espèces indigènes de plantes, de poissons ou encore d’invertébrés.

Tapis dense de Salvinie géante. © C. Delnatte

Salvinia molesta est identifiée parmi les 100 EEE les plus problématiques à l’échelle mondiale. Elle figure dans la liste des espèces règlementées au niveau Européen ainsi qu’en annexe de l’arrêté ministériel du 9 août 2019 relatif à l’interdiction de toutes utilisations de spécimens vivants d’EEE végétales en Martinique.

LES INTERVENTIONS MISES EN OEUVRE

Les interventions ont été menées sur 5 jours répartis sur un mois du 3 mai au 3 juin et ont mobilisé divers acteurs du territoire : les agents de la brigade de l’environnement de la commune de Sainte-Luce, l’équipe du projet Waliwa, les associations bénévoles (ACL, AGMM, Roots of The Sea), et l’équipe projet REMA.

Ramassage de la Salvinie. © L. Juhel / Autrevue

Le principal enjeu de restauration de cette mare était donc l’extraction de la Salvinie géante, une problématique à laquelle les acteurs présents sont confrontés chaque année. De nombreuses techniques ont alors été développées spécifiquement pour ce chantier au fur et à mesure des difficultés rencontrées pour une gestion sur le long terme. Tout le matériel a été prêté par la commune et les opérateurs ont donc pu expérimenter la gestion à l’aide de fourches, de râteaux et de balais à gazon. Un kayak, une brouette et des gants ont également été mis à disposition et des bénévoles sont venus équipés de coutelas.

Le tapis dense et épais formé par la Salvinie, les patchs de joncs (Eleocharis interstincta) et la présence de la liane américaine (Mikania micrantha) ont rendu difficiles les prélèvements manuels et l’évolution des opérateurs en kayak. La recolonisation rapide de la Salvinie sur la mare après la première journée de chantier a conduit à accélérer les interventions sur plusieurs jours consécutifs pour augmenter les chances de réussite. L’extraction des joncs et de Mikania micrantha a rapidement constitué une étape intermédiaire incontournable pour atteindre les objectifs de restauration de la mare. Plusieurs dispositifs ont donc été conçus, testés et perfectionnés :

  • Grapin constitué d’une fourche et attaché à une corde pour tirer manuellement près de la berge des radeaux de Salvinie (peu efficace en raison des lianes)
  • Grappin de grande taille tiré par un tracteur pour ramener de plus gros radeaux de Salvinie (efficace mais risque d’impacter négativement le fond de la mare)
  • Utilisation d’une ancre légère placée à la base des joncs et tirée par un tracteur pour les arracher (non efficace car l’ancre était trop légère)
  • Utilisation d’une chaine et d’une corde pour attacher les joncs et les arracher en les tirant à l’aide du tracteur et récupération des déchets près de la berge à l’aide de la pelle du tracteur.
  • Râteau flottant confectionné à l’aide d’un treillis soudé et de bambous pour tirer de grandes quantités de Salvinie (efficace suite à l’extraction des lianes et des joncs pour permettre la bonne circulation du kayak et des opérateurs).
  • Filet inspiré de la senne de pêche (technique traditionnelle) pour tirer de grandes quantités de Salvinie près de la berge (efficace suite à l’extraction des lianes et des joncs pour que le filet ne se coince pas). La Salvinie a ensuite été extraite manuellement et à l’aide de fourches.

Mare suite au faucardage des joncs. © Equipe REMA

Extraction des joncs à l’aide du tracteur. © Equipe projet REMA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Râteau flottant utilisé depuis un kayak. © Equipe REMA

Salvinie tirée depuis la berge à l’aide du filet de pêche. © Equipe REMA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les déchets de Salvinie issus de cette opération ont ensuite été déposés dans un espace dédié aux déchets verts de la ville.

PERSPECTIVES

Mare après les 5 jours d’intervention. © Equipe REMA

Un suivi de la mare de Pont-Café sera réalisé par la brigade de l’environnement de la commune et des prélèvements manuels hebdomadaires en cas d’observations de l’espèce sont prévus pour éviter une recolonisation du site à partir de fragments restants.

Les opérateurs ont ainsi relevé de nombreux défis lors de la mise en œuvre de ce chantier expérimental, les conduisant à adapter et à améliorer leurs techniques pour pallier aux différents obstacles rencontrés. Les compétences techniques acquises par l’ensemble les acteurs seront d’une grande utilité pour la gestion de cette espèce sur d’autres sites ou pour alimenter les réflexions quant à la gestion de plantes aquatiques exotiques envahissantes sur les autres mares sélectionnées par le projet REMA.

LES AUTRES CHANTIERS DE RESTAURATION PREVUS : LES GESTIONNAIRES CONFRONTES A PLUSIEURS EEE AQUATIQUES

Toutes les mares sélectionnées ne sont pas toutes colonisées par des EEE : certaines présentent un besoin de gestion d’une espèce indigène à caractère envahissant comme le jonc ou de remise en eau de la mare pour lutter contre l’assèchement ou le comblement.

Néanmoins, les EEE constituent une pression sur  la majorité des mares sélectionnées. La liste des sites qui feront l’également l’objet d’une expérimentation in situ dans le cadre de ce projet sont les suivantes (celles pour lesquelles il est déjà identifié que les EEE constituent une pression et devront faire l’objet d’une gestion sont indiquées en soulignées) :

Martinique :

  • Mare du Golf des Trois-Ilets : présence de la Jacinthe d’eau (Echhornia crassipes) et de la Lentille d’eau
  • Mare Baté à Schoelcher : présence d’EEE à identifier
  • Mare du Cap Beauchêne au Marin: régulation du jonc (Eleocharis interstincta)
  • Mare du Morne Cabri au Lamentin : remise en eau de la mare et gestion de Commelina diffusa (espèce cryptogène)

Guadeloupe :

  • Mare du Sergent dans la ville du Moule : Présence de plusieurs EEE telles que la Liane corail (Antigonon leptopus) et le Ricin. Un inventaire sera réalisée pour compléter les connaissances de l’état du site
  • Mare de la Maison de la Mangrove (Taonaba) aux Abîmes : présence de la Jacinthe d’eau (en petite quantité) et localisation d’une station de Typha (Typha domigensis) à proximité
  • Mare Desmarais à Saint-Louis, Marie-Galante: présence de plusieurs EEE dont la Jacinthe d’eau
  • Mare Houelmont à Gourbeyre : présence de l’Hydrille verticilée (Hydrilla verticillata)
  • Mare du Parc Eolien Petit Canal : extraction d’épineux sur le plan d’eau, gestion du piétinement des bovins et valorisation de la mare par l’Aire terrestre éducative.

Saint-Martin :

  • Mare de Millrum à Grand Case : présence du Typha (Typha domingensis) et de la Petite mangouste indienne (Urva auropunctata)

A ce jour, la question des EEE animales sur les sites sélectionnés ne se pose pas.  Les questions éthiques ainsi que les contraintes règlementaires nécessitent des connaissances techniques plus approfondies pour mettre en œuvre des mesures de gestion qui ne sont donc pas encore envisagées dans le cadre de ce projet. Pourtant, aux Antilles comme ailleurs, les zones humides dont les mares constituent des lieux de propagation d’EEE animales telles que les tortues de Floride (Trachemys scripta), les écrevisses américaines (Cherax quadricarinatus), les poissons tilapias (Oreochromis mossambicus), les petites mangoustes indiennes (Urva auropunctata) ou encore les rats (Rattus rattus). Même si la problématique des EEE animales dans les mares ne sera pas intégrée dans les expérimentations, le Guide de gestion et des mares tropicales pourra inclure des recommandations sur le sujet.

POUR EN SAVOIR PLUS 

 

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